Sarah Chiche

« Les enténébrés » le nouveau livre fascinant de Sarah Chiche.
J’aime bien le commentaire de Atos dans Babelio, analyse dont j’extrait cette partie:

Superpositions de blessures, de doutes, de peurs , de joies, images de beauté, images de regards, de corps, de nuit intenses, images de geste, images de souffles, d’abandon, de fuites. J’aime ce livre. Ce mille feuilles de vies. Il faut traverser les ténèbres pour atteindre la rive des clartés. Passer les rouleaux, plonger, au risque de ne jamais pouvoir remonter. Je suis revenue. Tu vois je suis revenue.. Oui images phantômes.. Les enténébrés existent, ils sortent du noir. Par la musique, les sons, par le cinéma, par les livres, par mille souvenirs, par photographies, par dessous nos paupières, ils sortent de la noirceur de nos mémoires, par chacun de nos pores. Ils marchent , hantent. Les rejoindre c’est un risque. Une chance. Un choix aussi. Mais avons-nous vraiment le choix ? Morale ou éthique, entrechoquements des espaces où nous nous accordons entre toutes nos vies.
Des images me sont revenues à cette lecture, où ai-je rejoint certaines images ? En ai-je fait le choix ?
On choisit un livre. Pourquoi celui là et pas un autre ? Pourquoi aime-t-on , pourquoi celui-ci, ou celle -là, pourquoi maintenant, pourquoi à cet instant si obscur, si désarmant ?
Oui j ai retrouvé des images que je croyais être miennes. Empreintes digitales de ma mémoire.
Lire quelles sont siennes et qu’elles se rejoignent toutes, pour réaliser qu’elles sont nôtres.
Ce livre ne fait pas juste entrer un petit rayon de lumière artificielle. Non, il met en lumière, d’une lumière naturelle. Nue, crue, et pour celles et ceux aux larges paupières, une lumière pure.
On ne peut comprendre le désordre du monde, le désastre annoncé du monde sans se connaître soi même. Savoir la part de mémoire qui réside dans la part des ténèbres qui s’annoncent, qui nous annoncent.
L’espoir que nous portons au monde doit être contenu en nous mêmes. Mais pour cela il faut faire face, dialoguer avec nos phantômes.
Images qui m’ont traversée.., traversées d’images… La jeune fille morte à Nevers de Duras, « je n’ai rien vu à Vienne « … Jacques Austerlitz et son diorama, les mots et la pensée de Didi-Huberman.
Association d’images et de pensées, de colères, d’intelligences. Je porte une mémoire qui ne m’appartient pas… Comme l’enfant que l’on porte, à qui nous donnons vie. Et qui transportera, fera vivre et survivra . Ce livre porte l’espoir d’un renouveau. La souvenance de nos survies. Pour peu qu’on veuille bien traverser les miroirs de notre mémoire, pour peu qu’on ait la force d’entendre de voir de penser et de comprendre ce qu’ils contiennent.

 

Bruno Patino

Bruno Patino écrit les lignes suivantes dans « la civilisation du poisson rouge ». De quoi réfléchir!

« Le poisson rouge tourne dans son bocal. Il semble redécouvrir le monde à chaque tour. Les ingénieurs de Google ont réussi à calculer la durée maximale de son attention : 8 secondes. Ces mêmes ingénieurs ont évalué la durée d’attention de la génération des millenials, celle qui a grandi avec les écrans connectés : 9 secondes. Nous sommes devenus des poissons rouges, enfermés dans le bocal de nos écrans, soumis au manège de nos alertes et de nos messages instantanés.
Une étude du Journal of Social and Clinical Psychology évalue à 30 minutes le temps maximum d’exposition aux réseaux sociaux et aux écrans d’Internet au-delà duquel apparaît une menace pour la santé mentale. D’après cette étude, mon cas est désespéré, tant ma pratique quotidienne est celle d’une dépendance aux signaux qui encombrent l’écran de mon téléphone. Nous sommes tous sur le chemin de l’addiction : enfants, jeunes, adultes.
Pour ceux qui ont cru à l’utopie numérique, dont je fais partie, le temps des regrets est arrivé. Ainsi de Tim Berners Lee, « l’inventeur » du web, qui essaie de désormais de créer un contre-Internet pour annihiler sa création première. L’utopie, pourtant, était belle, qui rassemblait, en une communion identique, adeptes de Teilhard de Chardin ou libertaires californiens sous acide.
La servitude numérique est le modèle qu’ont construit les nouveaux empires, sans l’avoir prévu, mais avec une détermination implacable. Au cœur du réacteur, nul déterminisme technologique, mais un projet qui traduit la mutation d’un nouveau capitaliste : l’économie de l’attention. Il s’agit d’augmenter la productivité du temps pour en extraire encore plus de valeur. Après avoir réduit l’espace, il s’agit d’étendre le temps tout en le comprimant, et de créer un instantané infini. L’accélération générale a remplacé l’habitude par l’attention, et la satisfaction par l’addiction. Et les algorithmes sont aujourd’hui les machines-outils de cette économie…
Cette économie de l’attention détruit, peu à peu, nos repères. Notre rapport aux médias, à l’espace public, au savoir, à la vérité, à l’information, rien n’échappe à l’économie de l’attention qui préfère les réflexes à la réflexion et les passions à la raison. Les lumières philosophiques s’éteignent au profit des signaux numériques. Le marché de l’attention, c’est la société de la fatigue.
Les regrets, toutefois, ne servent à rien. Le temps du combat est arrivé, non pas pour rejeter la civilisation numérique, mais pour en transformer la nature économique et en faire un projet qui abandonne le cauchemar transhumaniste pour retrouver l’idéal humain… »