Gregory Crewdson

Un autre photographe qui met en scène son sujet avant la prise de vue…….
Les photos de Gregory Crewdson, des mises en scène figées, ne sont pas sans rappeler celles des tableaux de Hopper, le côté angoissant aux limites du fantastique en plus… Quelque part entre voyeurisme et fantastique, décalage et angoisse, les images de Gregory Crewdson sont fascinantes.
Le côté un peu malsain, maladif, se comprend sans doute à l’examen de son histoire personnelle.
Les exemples photos qui suivent n’apparaissent pas dans la notification par mail.

Sally Mann

Sally Mann (Expo actuelle Jeu de Paume)

Les photographies n’ont rien d’idylliques malgré leur cadre naturel. Y règne une atmosphère angoissante et parfois lugubre. Une menace pèse sur les paysages et les protagonistes. Lorsqu’ils ne sourient pas et se prélassent, les enfants –Emmet, Jessie et Virginia– sont blessé·es, nu·es ou adoptent des poses d’adultes ambiguës, des poses de détresse ou encore de martyr. Damaged Child (1984), l’image introductive du livre de Sally Mann, montre le visage boursouflé de sa fille Jessie, victime de piqures d’insectes. Sur Emmett Floating at Camp (1991), le corps de son fils Emmett flotte à la surface de l’eau et ne manque pas d’évoquer un cadavre… Ailleurs, on le voit nu, le bas du corps taché par une texture sombre.

Loin de satisfaire ses pulsions sadiques, Sally Mann photographie des événements quotidiens que son œil de photographe transfigure. Elle explore ses peurs de mère, l’angoisse que ses enfants soient en danger, meurent ou grandissent trop vite. Sur la sublime photo The Last Light (1990) (photo ci-dessous) par exemple, une main adulte prend le pouls de sa fille comme si celle-ci allait lui échapper.
Dans le livre Immediate Familily, Sally Mann décrit ses clichés comme «des fictions», des images «fantastiques» ou portant «la plupart sur des choses ordinaires que toute mère a eu sous les yeux: un lit mouillé, un nez qui saigne, des cigarettes en sucre». Consciente des remous qu’ils pourraient susciter, la photographe prévoit d’abord d’attendre que ses enfants soient adultes pour les diffuser. Dans le catalogue de l’exposition, Sarah Kennel, l’une des commissaires raconte: «En l’apprenant, ses enfants […] lui demandent de reconsidérer sa décision. Après avoir consulté un psychologue qui assure Mann et Larry [son mari] qu’Emmett et Jessie sont bien intégrés et parfaitement conscients des incidences d’une publication […], Mann prend le parti de publier.»

 

Liberté perdue

Superbe analyse de Monsieur François Sureau!
Oui la liberté a déjà disparu.
Non, la liberté n’a pas été perdue pour tout le monde, elle a été confisquée par certains.
Au lieu de conforter la bêtise des hommes pour mieux les exploiter, il aurait fallu conforter au mieux leur intelligence et leur esprit d’analyse objective.
L’enseignement publique n’a plus cette mission, ni cet objectif.
Et tout ça finira très mal évidemment.

Hallucinant!

Dans mon article de blog précédent, J. Van Rillaer, Prof Emérite Univ Louvain, à son tour, illustre l’absence de rigueur scientifique et la « légèreté » (pour ne pas dire plus) de « l’illustre savant » qui est nommé par le Président pour diriger le Comité d’experts « Parcours mille jours »…..

Un extrait parmi énormités ou approximations en nombre:

Cyrulnik cite (p.262) l’Évangile selon St-Matthieu comme suit: « Quiconque regarde une femme […] a déjà commis l’adultère avec elle » et donne cette référence: « cité in Rauch, p. 25 ». Il met des crochets signalant l’absence de mots. Les connaît-il (il cite l’Évangile de seconde main) ou les a-t-il volontairement éliminés ? Six mots manquent par rapport à la phrase de l’Évangile : « Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (Mt 5 :28). Ainsi, ce qui est évoqué dans l’Évangile, ce n’est pas un péché qui résulterait d’un simple regard, mais le péché par intention ou en imagination.

Vive la Science!

 »

 

Psychothérapie de Dieu

Analyse par J. Van Rillaer, Prof. Univ Louvain (psychologie), du livre sorti en 2017 « Psychothérapie de Dieu »

Le mot « psychanalyse » désigne des théories et des pratiques fort différentes. On peut parler à ce sujet d’un “capharnaüm” [1]. Toutefois, beaucoup de personnes qui se disent (psych)analystes se réfèrent essentiellement à Freud. Celui-ci déclarait: “Je me trouve autorisé à soutenir que personne mieux que moi ne peut savoir ce qu’est la psychanalyse, par quoi elle se différencie d’autres manières d’explorer la vie d’âme et ce qui doit être couvert de son nom ou ce qu’il vaut mieux nommer autrement” [2]. Il qualifiait Adler, Jung et d’autres dissidents de « demi-analystes » et parfois de “non-analystes” [3].
Boris Cyrulnik, qui se présentait autrefois comme “psychiatre-psychanalyste” [4], se qualifie “neuropsychiatre” dans ce dernier ouvrage. En fait il adhère encore à certaines conceptions freudiennes. Il apparaît, au sens freudien, comme un “demi-analyste”.
Il commence et termine son ouvrage “Psychothérapie de Dieu” (Odile Jacob, 2017) par l’affirmation que Dieu souffre. Il cite Élie Wiesel qui, au retour d’Auschwitz, “a compris que Dieu était souffrant puisque le mal existe” (p. 8). Il conclut à sa dernière page : “Dieu souffre quand le mal existe”. Toutefois, son ouvrage ne traite guère de la façon d’atténuer la souffrance de Dieu ou de faire sa psychothérapie, mais du fait que la croyance religieuse peut avoir des effets thérapeutiques.
La principale thèse centrale de Cyrulnik
Conformément à la tradition freudienne, la plupart de ses explications renvoient au passé, à ceci près qu’il use et abuse du concept mis à la mode par John Bowlby : l’attachement. Ainsi “Dieu est une figure d’attachement” (p.96). Notre attachement à Dieu dépend du type d’attachement dont nous avons bénéficié dans l’enfance. Il y a, dit Cyrulnik, “transfert d’attachement”. Ceux qui ont bénéficié d’un bon attachement sont ouverts à d’autres croyances que celles de leur milieu d’origine. Ceux qui ont eu un développement difficile ont besoin de certitudes et sont fermés à toute autre croyance. La radicalisation des islamistes est due à un mode d’attachement particulier. Le rapport à la femme est une question d’attachement : « La vue du corps d’une femme déclenche chez l’homme qui a acquis un attachement sécure : ”La simple présence d’une femme est un moment de bonheur”. Mais s’il a acquis un attachement insécure, il risque de juger : “Cette femme déclenche en moi un désir qui m’angoisse. Si, par malheur, je me laisse aller à l’immanence sexuelle, cette femme me mènera à la souffrance éternelle” » (p.164). L’autisme : idem. “Il n’y a pas d’autisme initial, comme le soutenaient les psychanalystes, mais au contraire il y a une perception privilégiée de signaux émis par sa figure d’attachement dans une relation intersubjective” (p.233). Le plaisir de retrouver un objet utile ? Une affaire d’“attachement” : “Il suffit de constater le bonheur qu’on éprouve en retrouvant les clés de sa voiture qu’on cherchait depuis une demi-heure. Quel plaisir donne ce rebond d’attachement” (p.203).
D’autre part, Cyrulnik répète à longueur d’ouvrage les bénéfices psychologiques de la religion : donner un sens à la vie, sécuriser, clarifier l’identité, favoriser l’estime de soi, donner une explication cohérente des événements, indiquer la direction du bonheur, donner le sentiment de pouvoir influencer Dieu et donc des événements par des prières et des sacrifices, faire croire qu’il suffit de bien obéir pour aller au Paradis. Pour détailler ces effets, Cyrulnik s’est largement inspiré de l’excellent ouvrage Psychologie de la religion. De la théorie au laboratoire de Vassilis Saroglou et 25 collaborateurs [5], qu’il a l’honnêteté de citer abondamment.
Erreurs factuelles concernant la religion
Parmi les erreurs, celle concernant l’Inquisition est peut-être la plus étonnante. Cyrulnik écrit : “L’Inquisition a été déclenchée en 1066 pour récupérer le Tombeau du Christ volé par les Arabes” (p.198). En réalité, l’Inquisition est un organisme judiciaire ecclésiastique créé pour lutter contre les hérésies. Son règlement a été formulé par le Pape Grégoire IX en 1229, quoique des persécutions et des mises à mort d’hérétiques avaient eu lieu bien avant [6]. Le Dictionnaire historique de la langue française signale que le mot (du latin inquisitio, enquête) apparaît en français vers 1175 et que le sens d’“enquête concernant la foi” date du XIIIe siècle [7]. L’expédition militaire destinée à permettre l’accès à la Palestine, lieu de pèlerinage rendu difficile par les Turcs, est la croisade. La première fut prêchée par le Pape Urbain II en 1095 et s’est déroulée de 1096 à 1099 [8].
Cyrulnik n’est pas à une contradiction près. Une cinquantaine de pages plus loin, il écrit : “L’Inquisition a fait cesser les guerres intestines (1231-1233) et a rassemblé la chrétienté” (p.250). En fait, les « guerres intestines » de la chrétienté, loin d’avoir cessé grâce à l’Inquisition après trois ans (!), ont duré des siècles.
Cyrulnik cite (p.262) l’Évangile selon St-Matthieu comme suit: « Quiconque regarde une femme […] a déjà commis l’adultère avec elle » et donne cette référence: « cité in Rauch, p. 25 ». Il met des crochets signalant l’absence de mots. Les connaît-il (il cite l’Évangile de seconde main) ou les a-t-il volontairement éliminés ? Six mots manquent par rapport à la phrase de l’Évangile : « Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (Mt 5 :28). Ainsi, ce qui est évoqué dans l’Évangile, ce n’est pas un péché qui résulterait d’un simple regard, mais le péché par intention ou en imagination.
Affirmations sans références
Cyrulnik donne régulièrement des références : c’est le plus souvent pour des idées banales. Par contre, quand il affirme des choses étonnantes, les références manquent souvent. On se demande alors s’il s’agit de ses propres observations. Exemples :
– « La musique est un outil étonnamment efficace. Le rythme des tambours est une hypnose qui mène les soldats à une mort sans angoisse. Il suffit de marcher au pas cadencé, de ne pas réfléchir, de se laisser emporter » (p.220). « Quand les soldats marchent côte à côte en chantant face à la mort, la peur s’estompe ou se transforme en extase » (p.222). « Sans angoisse… en état d’extase » : les témoignages sont-ils nombreux ? À lire Cyrulnik cela semble être la règle.
– A propos des « récit collectifs qui mettent de l’ombre à des faits » : « Dans les années d’après-guerre, il n’y avait pas de Juifs à Auschwitz. La religion préoccupait si peu les récits de l’époque qu’il n’y avait, dans ce camp d’extermination, que des Roumains, des Hongrois, des Allemands ou des Français, mais pas plus de Juifs que de Bouddhistes. Le faible souci du sacré dans les années 1945-1960 ne mettait pas en lumière la mémoire religieuse. En revanche, la glorification des héros russes et des résistants remplissait les films, les romans et les conflits politiques » (p.239s).
De la poudre aux yeux pro-psychanalyse
Cyrulnik écrit : « Un groupe de vingt-quatre dépressions majeures a passé une résonance magnétique avant de se rendre à une série de séances de psychothérapie : l’atrophie du cortex préfrontal était nette et l’amande rhinencéphalique hypertrophiée s’allumait à la moindre émotion. Après quelques mois de travail en psychothérapie, ces dysfonctionnements ont disparu. Mieux même, le gyrus denté, une zone médiane du circuit limbique, était hypertrophié sous l’effet du travail de la réflexion et des émotions associées. Un autre groupe de dépressifs majeurs avait refusé la psychothérapie. Quand, quelques mois plus tard, ils ont accepté de passer un scanner de contrôle, l’atrophie préfrontale et les vives réactions de l’amygdale étaient inchangées. C’est bien le travail psychique qui avait modifié le fonctionnement et la structure de ces zones cérébrales. La vulnérabilité neuro-émotionnelle acquise lors d’un malheur de l’existence avait été remaniée par le travail de la parole. L’exercice qui consistait à, intentionnellement, aller chercher dans son passé des images et des mots pour en faire un récit adressé à un psychothérapeute avait modifié le circuitage [sic] des neurones de ces zones cérébrales » (p. 152s).
Cyrulnik suggère clairement qu’il s’agit ici d’un traitement psychanalytique (« travail de la parole », « rechercher dans le passé … »). Or il n’en est rien. Cyrulnik donne cette référence en bas de page : « Beauregard, M. “Functional neuroimaging studies of the effects of psychotherapy”. Dialogues in Clinical Neuroscience, 2014, 16: 75-81 ». Quand on examine cette référence (ce qui est très facile avec Google Scholar), on constate que la recherche n’est pas de Mario Beauregard, qui n’a fait que la résumer. La recherche a été réalisée par Arthur Brody et al. à l’université de Californie (Los Angeles). Beauregard donne évidemment la référence : « Regional brain metabolic changes in patients with major depression treated with either paroxetine or interpersonal therapy : preliminary findings. Archives of General Psychiatry, 2001, 58: 631–640 ». Le titre de l’article indique clairement qu’il s’agit de « psychothérapie interpersonnelle », ce que d’ailleurs Beauregard a pris soin de souligner dans son résumé. Or ce type de thérapie ne se contente pas de récits du patient au thérapeute et évite précisément les ruminations que constitue « la recherche de mots et d’images dans le passé » [9]. La « thérapie interpersonnelle » est une thérapie courte (dans cette étude-ci, le traitement a duré 12 semaines), qui se caractérise par la centration sur le fonctionnement des relations des patients. Ceux-ci apprennent comment résoudre des conflits interpersonnels, comment développer de nouvelles relations et activités. La démarche s’apparente à celle des TCC [10].
À lire Cyrulnik, on croit que tous les patients sont sortis de leur état dépressif. Brody et al. précisent qu’après 12 semaines il y a eu 38% d’amélioration (évaluée par l’échelle de dépression de Halmilton), c’est-à-dire moins de la moitié ! La façon dont Cyrulnik rapporte la guérison par une thérapie de type freudienne rappelle les contes de Freud sur les résultats de ses traitements. Cyrulnik écrit très joliment, c’est un merveilleux conteur. Sa rigueur hélas est toute « freudienne » [11].
Autre exemple. Cyrulnik écrit : « Le Soi des religieux est facilement “océanique” puisqu’il accède à un au-delà éternel ». Il donne pour référence : « Freud, S. “Le malaise dans la culture” (1927) ». En fait, dans cet ouvrage publié en allemand en 1930 (et non 1927, date de “L’avenir d’une illusion”), Freud relate que Romain Rolland lui a écrit que « la source véritable de la religiosité est un sentiment qu’il appellerait volontiers la sensation de l’“éternité”, sentiment comme de quelque chose de sans frontière, sans borne, pour ainsi dire “océanique” » [12]. Freud ajoute qu’il ne reconnaît pas ce sentiment en lui, mais ne conteste pas qu’il puisse se trouver chez d’autres. Relisons. Freud n’a pas écrit que « le Soi des religieux est facilement “océanique” ». Il disait seulement que, selon Rolland, la source de la religiosité est un sentiment pour ainsi dire océanique. À plusieurs reprises on a l’impression que Cyrulnik a lu Freud en diagonale. Quant à Lacan, on peut se réjouir qu’il semble l’ignorer. Il n’en cite qu’une phrase (sans référence), pour dire une banalité : « Pour un pervers, seule compte la jouissance ».
Thèses freudiennes modifiées ou refusées
« Freud avait dit que Dieu était une figure paternelle. Les psychologues de la religion parlent plutôt aujourd’hui de figures d’attachement qui prennent des formes variables selon la religion, mais qui toutes ont pour fonction de sécuriser et de dynamiser » (p.103).
Freud écrivait : « Ce n’est pas sans de bonnes raisons que la tétée du sein de la mère par l’enfant est devenue le prototype de toute relation amoureuse. La trouvaille de l’objet est, à proprement parler, une retrouvaille [Wiederfindung]. […] l’enfant apprend à aimer d’autres personnes qui lui apportent de l’aide dans son désaide [Hilflosigkeit] et satisfont ses besoins, et cela tout à fait sur le modèle et dans la continuation de son
rapport de nourrisson à sa nourrice » [13]. Cyrulnik pense que « le mot “aimer” nous oriente vers des buts à chaque fois différents : on n’aime pas notre mère comme on aime notre femme, nos enfants, la cuisine ou Dieu. Cette orientation affective universelle organise vers chaque objet une structure différente » (p.55).
On lit avec plaisir la prise de distance à l’égard des Maître-penseurs : “Entre celui qui croit en Dieu et celui qui n’y croit pas, nous pouvons situer celui qui croit aux super-penseurs, comme Marx, Staline, Freud et bien d’autres. Ces hommes jouiraient d’une intelligence surhumaine qui nous permettrait de comprendre la condition humaine, à condition de bien apprendre leurs idées” (p.171).
Par contre, on lit avec stupeur que Cyrulnik prend encore au sérieux ce que Freud a raconté dans Totem et Tabou pour expliquer la genèse de la civilisation et de la religion. Il écrit : « La mémoire du meurtre initial qui a lancé le processus de civilisation persiste à travers les générations » (p.169). Rappelons que Freud avait imaginé que les premiers hommes avaient tué le père primitif, l’avaient dévoré, puis avaient éprouvé de la culpabilité et s’étaient mis à lui obéir. L’effet de ces événements se serait transmis jusqu’à nous. Lacan, en l’occurrence, était moins naïf que Cyrulnik. Il écrivait : « Totem et Tabou, il faut étudier sa composition, qui est une des choses les plus tordues qu’on puisse imaginer. Ce n’est tout de même pas parce que je prêche le retour à Freud, que je ne peux pas dire que Totem et Tabou, c’est tordu » [14].
Généralisations & dichotomisations
Cyrulnik écrit joliment, mais il a le défaut de généraliser et d’absolutiser. C’est notamment le cas quand il caractérise, en les opposant, les croyants et les incroyants. Exemples:
– « Les religieux sont avides de certitudes et de traditions. Pour eux, tout changement est une agression, alors que pour un incroyant, c’est une aventure stressante et amusante, qui donne la sensation d’exister » (p.179).
– « Les incroyants font l’effet d’agresseurs puisque leur simple existence expose au doute qui empêche d’aimer ce Dieu thérapeute dont les désespérés ont le plus grand besoin » (p.67).
– « Les non-religieux n’ont pas de limites à leur empathie, alors que les religieux éprouvent un élan vers leurs frères en religion et un mépris craintif pour ceux qui vivent sans dieu » (p.193).
– « Les sans-dieu acceptent volontiers l’incertitude, ils sont plus autonomes, moins conformistes, aiment la réflexion incitée par le doute, n’emploient jamais le mot “tolérance” puisqu’ils n’ont pas à tolérer la présence d’un autre qui vit simplement avec eux » (p.297).
– « La joie religieuse est dépourvue d’humour. Celui qui éprouve “l’euphorie d’être” s’oriente en souriant vers l’autre, il ouvre ses bras, dit des mots gentils mais ne rigole pas » (p.300).
– « René Girard, le grand anthropologue a théorisé le concept de “désir mimétique”, où tout désir est une imitation du désir de l’autre » (p.236). Soulignons « tout » désir. C’est la thèse de Girard, mais Cyrulnik la reprend naïvement à son compte [15]. Il y a évidemment des désirs par imitation, mais il y en a bien d’autres. Un enfant peut désirer une glace parce qu’il voit un autre enfant en lécher une, mais il peut aussi désirer une glace en voyant un glacier…

M. Cyrulnik

L’article précédent étant trop long, les notifications par mail de la publication ne sont pas arrivées à leurs destinataires.
Celui-ci, plus court, permettra peut-être d’attirer l’attention et incitera peut-être à lire le précédent qui parait très édifiant.

Le journaliste scientifique Nicolas Chevassus-au-Louis explique dans son enquête que Boris Cyrulnik raconte « peu ou prou la même chose » dans ses 18 livres (2,5 millions d’exemplaires vendus) avec de nombreuses banalités, des contradictions et des références, notamment scientifiques, défaillantes (non référencées, invérifiables). Son statut de scientifique y est aussi questionné puisque : il n’exerce plus comme médecin depuis 1999, il n’est pas éthologue (ce qu’il confirme au journaliste) et il n’est guère cité dans les publications académiques. Concernant la notion empruntée de résilience, le journaliste ajoute qu’il se contente « dans ses livres d’enchaîner les anecdotes sans esquisser la moindre théorisation sérieuse » alors même que des discussions ont cours dans le milieu scientifique.
La chercheuse indépendante Odile Fillod a consacré deux billets critiques aux thèses et au parcours de Boris Cyrulnik.

Monsieur Cyrulnik

M. Macron vient de confier une importante responsabilité à M. Cyrulnik.
L’écoute de certains de ses propos plein de certitudes m’ont fait tiquer et douter de la réelle expertise du prétendu pape de la résilience.
Une petite enquête fut très éclairante .
Quelques extraits ci-dessous.
Odile Fillod juin 2013 (voir aussi par exemple Nicolas Chevassus-au-Louis.. etc)

Je sais c’est long, mais faut ce qui faut.

 

C’est avec la complicité plus ou moins volontaire d’innombrables intermédiaires que s’est construit un leurre non seulement étonnant, mais aussi et surtout préoccupant. Car travesties pour le grand public en parole de sagesse pétrie de science, les théories portées par la voix lénifiante du bon docteur sont loin d’être anodines.
Le journal Le Monde a récemment invité Boris Cyrulnik à donner son avis d’expert sur le phénomène des CV mensongers. Les éléments suivants de sa réponse m’ont paru fournir un bon préambule à ce dont il va être question ici :
« Le mythomane est désespéré, quelque chose de douloureux lui est arrivé. Il éprouve de la honte, il se sent jugé par l’autre et veut briller. Alors il se montre à son avantage pour réparer une blessure narcissique, soit en racontant à l’autre une histoire merveilleuse qu’il attend, soit en rédigeant un CV miraculeux […] De nombreux mythomanes ont fait des carrières extraordinaires sur un leurre […] Mais ceux qui sont leurrés sont complices. C’est même nécessaire. Je propose d’unir tout cela sous le mot leurre qui fait partie du vivant. Dès l’instant où l’on est vivant, on est en danger et on a besoin de leurrer. Mais au fond, la société est complice parce qu’elle demande de frimer et parce qu’elle surcote les titres » (Brafman, 13/05/2013)[1]
CARRIERE EXTRAORDINAIRE, HISTOIRE MERVEILLEUSE ET CV MIRACULEUX
La carrière éditoriale et médiatique de Boris Cyrulnik est assez extraordinaire : « Boris Cyrulnik a écoulé plus de 1,5 million d’exemplaires de ses différents ouvrages », relevait ainsi Le Figaro (Jouan, 23/09/2010), dans l’un des innombrables articles que la presse lui a consacrés depuis trente ans. C’était à l’occasion de la sortie de son livre consacré à la honte, « nourri par les acquis les plus récents des neurosciences et de la psychologie » selon son éditrice (Cyrulnik, 2010, 4èmede couverture), issu de ses « investigations rigoureuses » sur des rats, des chimpanzés, des terroristes, des petits enfants dans les crèches, des victimes d’abus sexuels et son petit-fils selon une journaliste du Point (Lanez, 02/09/2010). Avec ce genre de présentation, il n’est pas étonnant que ses livres paraissent sérieux et se vendent si bien. Pour ma part, il me semble qu’une remarque faite par Boris Cyrulnik à propos de ce livre en donne une clé de lecture bien plus pertinente. Il a en effet expliqué qu’il était notamment issu de sa propre expérience infantile de la honte, et qu’on ne se sortait d’une telle expérience qu’en développant une « compensation imaginaire » pouvant soit « devenir le moteur d’une réussite sociale », soit amener à « se laisser glisser dans la mythomanie » [2] (parlant ici de lui, il avait préféré ne pas évoquer la possibilité envisagée en 2013 dans Le Monde que la mythomanie soit elle-même le moteur de la réussite sociale).
Si divers éléments ont contribué à cette carrière extraordinaire, deux me paraissent essentiels. Le premier est que Boris Cyrulnik raconte au grand public, avec un indéniable talent de « conteur ensorcelant » (Lanez, 21/10/2004), d’une voix « douce, enveloppante et délicieusement régressive » (Huret et Cousin, 16/01/2003), « grave, lente et rassurante » (Jouan, 23/09/2010), exactement le genre d’histoire merveilleuse qu’il attend. Car il est le « pape de la résilience » (Weill, 27/09/2012), notion que sa propre réussite faisant suite à une enfance traumatique (dont il ne cesse depuis plus de 12 ans de mettre en scène le récit édifiant, bien qu’elle fût à ses dires révélée contre son gré [3]) incarne de manière éclatante. Or cette notion est on ne peut plus porteuse : maxime optimiste selon laquelle « non seulement les enfants résistent aux épreuves, mais ils s’en servent pour devenir plus forts » (Huret, 01/03/2001), ce concept « révolutionnaire pour le grand public » qu’il a été le premier à vulgariser a fait de lui « le psy qui redonne espoir », le « fournisseur officiel de bien-être » au charme duquel Edgard Morin comme tant d’autres succomba avec enthousiasme [4].
Le second élément qui me paraît essentiel est son « CV miraculeux » de praticien-chercheur à la fois neurologue, psychiatre, éthologue et psychanalyste, qui lui permet de jouer sur plusieurs tableaux. En effet, il peut ainsi au besoin soutenir son discours par des exemples (censément) tirés tantôt de sa pratique de médecin ou de psy, tantôt de sa pratique de chercheur. Par ailleurs, cela fait de lui un expert légitime de chacune des disciplines dont il est censé être un représentant, et il peut ainsi invoquer l’une ou l’autre selon le sujet et selon les attentes de son public, de même que ceux qui le citent peuvent choisir de mettre en avant l’une ou l’autre des ses étiquettes. Enfin et peut-être surtout, il se trouve ainsi positionné comme seul capable de puiser dans chacune de ces disciplines pour accéder à un niveau supérieur de compréhension de l’être humain.
Les témoignages parallèles de journalistes ayant contribué à la construction de son aura médiatique, interrogés récemment à l’occasion de la promotion de son énième livre paru chez Odile Jacob, sont à cet égard significatifs : « Il s’intéresse à tout. A la psychiatrie évidemment, c’est sa formation, il est neuropsychiatre ; à la psychanalyse, il a fait une analyse, donc il a été psychanalyste » (Claude Weill du Nouvel Observateur); « Il s’est spécialisé dans l’éthologie, c’est-à-dire l’étude du comportement des animaux » (Violaine Gelly de Psychologies magazine) ; «[Son travail] a beaucoup changé la vision qu’on a en France de l’enfance, puisqu’on quitte un peu le modèle « tout psychanalyse » pour arriver à un modèle « nous sommes aussi des animaux » » (Emilie Lanez du Point)[5]. Censé embrasser à la fois les ressorts biologiques et psychologiques de nos comportements, ce « réconciliateur » (Dominique Leglu, Sciences et Avenir) incarne ainsi la pointe avancée du dépassement de l’opposition nature/culture [6]. Car pour « comprendre l’humain, impossible de séparer corps et esprit, psychique et physique, affectivité et biologie, nous dit en substance Boris Cyrulnik », qui grâce à ses multiples domaines d’expertise supposés nous est présenté comme le pionnier d’une « ère nouvelle pour la compréhension des plaies de l’âme », où l’on aborde les problèmes « d’une manière non dualiste» en s’appuyant sur les « performances techniques des images du cerveau associées à la clinique neurologique et à la psychologie » (Taubes, 11/2006). A l’heure où « l’hyperspécialisation atomise les savoirs », cet « arpenteur de l’âme humaine » « inclassable, iconoclaste », est « le chef de file d’une nouvelle discipline » qui fait appel « à des connaissances allant de la biologie à la psychanalyse, en passant par l’anthropologie, la neurologie ou la linguistique » ; il « emprunte au généticien comme au linguiste, au primatologue comme à l’anthropologue », « se poste aux frontières des sciences , s’embusque aux confins des disciplines, emprunte des chemins de traverse et engage des dialogues impossibles », va « à l’encontre des modes de la communauté savante de cette fin de XXe siècle», « ouvre portes et fenêtres, mélange, intègre, confronte, associe », « hors des carcans qui verrouillent les universitaires parfois aigris » et ses collègues qui « se spécialisent, délimitant leurs recherches au cordeau » (O’Dy, 23/09/1993 & 17/04/1997). Et si cet « antimandarin » (Weill, 03/01/2002), ce « marginal » qui a pris une « belle revanche sur un système universitaire qui ne l’a guère aidé » suscite ça et là quelques critiques, c’est précisément parce qu’il a refusé d’entrer dans les moules où sont restés pris ses détracteurs, et parce qu’il est « désormais trop célèbre pour ne pas faire des jaloux », nous explique-t-on [7].
« LA SOCIETE EST COMPLICE PARCE QU’ELLE DEMANDE DE FRIMER ET PARCE QU’ELLE SURCOTE LES TITRES »
S’il s’avérait que le CV de Boris Cyrulnik soit trop miraculeux pour être vrai, il lui serait facile d’invoquer la complicité de la société. Car la liste des diplômes, qualités, compétences ou accomplissements remarquables qui lui sont prêtés pour asseoir la légitimité de sa parole – et vendre du papier – est assez impressionnante……..

SOUS LES ETIQUETTES, DU BŒUF OU DU CHEVAL ?
Il n’a pas été facile de démêler le vrai du faux, d’autant que Boris Cyrulnik a choisi de ne pas répondre à mes demandes d’entretien. Un certain nombre d’éléments clairs sont néanmoins ressortis de mon enquête.
La résilience et les orphelins roumains
Il est étonnant que nombre de journalistes, y compris dans des médias importants tels que Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Point ou encore L’Express, se soient obstinés pendant plus de 10 ans à le qualifier de « père » ou « théoricien » de la résilience. En effet, il n’a inventé ni ce concept, ni son appellation. Celle-ci était présente dans les publications des chercheurs bien avant qu’il ne la popularise en France en 1999, dont en 1985 en anglais sous la plume de Michael Rutter (un chercheur qui semble à maints égards être une source importante de son inspiration sur le sujet), et en 1996 en français sous celle de plusieurs auteurs [11]. Ce qu’il avait écrit dans son premier ouvrage grand public sur le sujet ne laissait pourtant guère place au doute, mais il est vrai qu’il a ensuite parfois entretenu le flou [12], et même confirmé à des centaines de milliers de téléspectateurs qu’il était l’inventeur de ce concept [13].
S’il avait publié des recherches scientifiques ayant marqué ce domaine, on pourrait expliquer en partie la méprise et comprendre que par exemple, Le Nouvel Observateur l’ait en 2002 prétendu connu pour ses « travaux » sur la résilience. Mais ça n’est pas le cas : selon le Web of Science (WoS), base mondiale de référence des publications scientifiques y compris non anglophones, parmi les 4041 publications en psychologie, psychiatrie, neurologie ou pédiatrie comprenant à ce jour le mot resilience dans le résumé ou les mots-clés, une seule est de Boris Cyrulnik, faite en 2008, indexée en tant que matériel éditorial et non article scientifique. Il n’est d’ailleurs (fort logiquement) jamais cité dans les articles scientifique de synthèse sur la résilience que j’ai trouvés dans cette base. Il est vrai que là encore, il a entretenu le malentendu.
Ainsi, il a notamment suggéré qu’il avait été à la pointe de la prise en charge et de l’étude des enfants découverts dans les orphelinats roumains après la chute de Ceausescu en 1989. Il dit par exemple en 2001 : « J’ai beaucoup travaillé avec les orphelins roumains de l’ère de Ceausescu, abandonnés très tôt dans des institutions inhumaines. Quand on parlait de ces enfants, on nous disait : « Ce sont des monstres. » » (Taubes, 03/2001). Quelques années plus tard, il dit avoir eu l’idée de faire passer des scanners à ces enfants et constaté que l’ « atrophie frontolimbique » dont ils souffraient initialement avait disparu un an après leur placement dans des familles [14]. Dans la littérature scientifique rapportant les études de suivi des orphelins roumains adoptés, je n’ai pourtant trouvé ni mention de Boris Cyrulnik, ni article signé par lui. En fait, c’est par Michael Rutter que bon nombre de ces études ont été menées. Comme tous ceux qui ont publié sur le sujet, Rutter a constaté qu’une part significative des anomalies comportementales ou cognitives constatées chez un grand nombre de ces enfants n’avaient pas disparu même plusieurs années après leur adoption [15]. En ce qui concerne les anomalies cérébrales, le récit de Boris Cyrulnik ne reflète pas du tout ce qui a été rapporté dans la littérature scientifique, dans laquelle j’ai cherché en vain la trace du constat qu’il évoque [16]. Il semble bien que Boris Cyrulnik ait ici tenté non sans succès de se faire passer pour le sujet d’une histoire dont il a été le spectateur, et d’en faire l’histoire merveilleuse qu’il lui plaisait de raconter.
Quand au « réseau mondial de recherche sur la résilience » créé par lui signalé par Psychologie magazine, il s’agit probablement de l’Observatoire international de la résilience (OIR), une association de loi 1901 créée en février 2004 à l’initiative de Jacques Lecomte [17], ancien responsable de la rubrique « Psychologie » de Sciences Humaines ayant soutenu en 2002 à l’EPHE une thèse en psychologie positive. L’OIR était domiciliée dans les locaux de la Ligue française pour la santé mentale (présidée par Roland Coutanceau), Boris Cyrulnik la présidait, et Jacques Lecomte en était le secrétaire général. Le Point l’avait décrite fin 2004 comme ayant « 300 chercheurs » affiliés et sur le point de commencer à publier des « Cahiers de la résilience », et elle devait avoir un site web dédié. En réalité, bien que le statut de président de l’OIR de Boris Cyrulnik ait été à l’occasion mis en avant pour asseoir sa légitimité vis-à-vis du grand public, l’OIR (dissout en octobre 2005) semble n’avoir été qu’une éphémère coquille vide [18].
L’éthologie tout court (la vraie)
Concernant l’éthologie, dont le Petit Robert 2012 nous dit qu’elle est la « science des comportement des espèces animales dans leur milieu naturel », notons tout d’abord que Boris Cyrulnik n’a aucun diplôme dans cette discipline. S’il ne semble pas avoir explicitement prétendu le contraire, il a cependant été suffisamment ambigu pour le laisser croire. Par exemple, il évoque dans un entretien « John Bowlby, qui est celui qui m’a le mieux formé à l’éthologie animale », ce qui fait que son interviewer finit par écrire qu’il est « éthologue de formation » (Revue EPS, 09/2004); ailleurs il répond simplement « Pour moi, les deux vont de pair » lorsqu’on lui demande « Aujourd’hui, vous êtes plutôt éthologue ou neuropsychiatre ? », comme s’il avait cette double formation de base (Desprez , 23/04/2003); dans un autre entretien il explique qu’il a été « un des premiers à essayer d’appliquer aux humains les méthodes que j’avais apprises avec les animaux » (Boncenne, 05/2001); dans un autre encore il raconte que pendant ses études de psychiatrie l’enseignement était si indigent que « par désespoir, j’ai décidé d’appliquer à l’homme ce que j’avais appris à faire en psychologie animale », c’est-à-dire « au lieu d’aller parler avec les malades, observer l’hôpital psychiatrique avec un regard d’extraterrestre. Qui rencontre qui, où, et comment, comme j’avais l’habitude de le noter en psychologie animale » (O’Dy, 23/09/1993). Il n’est certes pas à exclure complètement qu’il ait suivi des cours d’éthologie [18′] avant ses études de psychiatrie, mais de là à en déduire qu’il est éthologue… A ce compte là je pourrais me dire mathématicienne, physicienne, chimiste, neurobiologiste, psychologue, etc.
Cela étant dit, il n’y a pas que les diplômes qui comptent : il ne serait pas aberrant de le présenter comme éthologue s’il avait occupé un poste de chercheur en éthologie et publié des recherches dans ce domaine, ne serait-ce que sur les goélands dont il a plusieurs fois été écrit qu’il était un spécialiste. Hélas, trois fois hélas : il n’a jamais occupé de tel poste, et le WoS ne contient la trace d’aucun article scientifique signé de son nom publié dans une revue d’éthologie ou relevant de l’observation d’animaux dans leur milieux naturel. Ni sur les goélands, ni sur une autre espèce. Il semble bien que Boris Cyrulnik ne fasse « autorité en matière d’éthologie » qu’au yeux de ceux qui ont eu la faiblesse d’y croire – ou de vouloir le faire croire. A mon sens, le simple fait de se présenter comme éthologue relève dans son cas déjà de l’imposture.
Psychologie et psychanalyse
Boris Cyrulnik a plusieurs fois été qualifié dans la presse de psychothérapeute, en plus de psychiatre. L’absence de mention explicite d’un diplôme de psychologie même dans ses CV les plus « enflés » suggère qu’il n’en a pas. Il a cependant déclaré « je suis neurologue, psychiatre, psychologue » (O’Dy, 23/09/1993), et répondu à la question « Qu’est ce qui vous définit le mieux : éthologue, psychologue, pédopsychiatre… ? » par une pirouette : « Je pense que depuis quinze ans, ce qui me caractérise c’est la continuité du travail que je mène sur la résilience » (Revue EPS, 09/2004). Sachant qu’il n’est ni éthologue, ni pédopsychiatre, j’inclinerais à penser qu’il n’est pas non plus psychologue, mais ce point reste à confirmer.
D’après Nivelle (21/02/2001), il est devenu « psychanalyste « en ville » à mi-temps » en 1979, activité qu’il dit avoir cessée après la sortie d’Un merveilleux malheur en 1999 notamment à cause du « pré-transfert » créé par ses écrits chez ses patients (Gobin, 01/11/2003). Cette profession n’étant pas réglementée, il a en effet pu la pratiquer sans avoir à faire valoir de formation particulière dans ce domaine. Je note cependant que son activité de psychanalyste ne figure pas dans son CV. D’autre part, bien qu’il revendique celle-ci dans les médias, lorsqu’il fait des conférences ou des publications en compagnie de psychanalystes, ceux-ci sont dûment désignés ainsi et/ou affichent leur appartenance à une société de psychanalyse, mais pas lui. L’étendue réelle de sa pratique de la psychanalyse et de la reconnaissance par des pairs de ses compétences en la matière restent à éclaircir.
Neurologie
Après une carrière de lycéen brillant (il dit avoir été présenté à plusieurs concours généraux) conclue par un bac littéraire, Boris Cyrulnik dit avoir « raté l’inscription » à Sciences po qu’il ambitionnait d’intégrer, et s’être alors inscrit au certificat de physique-chimie-biologie à la faculté des sciences de la rue Cuvier qu’il fallait à l’époque passer pour pouvoir entrer en fac de médecine (Maradan, 13/03/2012). Bien qu’ayant déclaré maintes fois avoir décidé de devenir psychiatre vers l’âge de 10 ans, il semble avoir eu une seconde hésitation après l’épisode Science po. Il déclare en effet dans son CV2008 avoir passé en 1962 (soit a priori au moins 5 ans après son bac) le concours de l’Institut de Psychologie de Paris, puis en 1965 le concours des hôpitaux privés de Lyon, et validé en 1967 un certificat d’études spéciales en Biologie appliquée aux sports [19].
Ce n’est qu’à 30 ans qu’il commence son certificat d’études spéciales (CES) en neuropsychiatrie, faisant dans ce cadre fonction d’interne (précisé dans son CV2007, mais ailleurs c’est gonflé en « interne ») pendant l’année 1967/1968 au sein du service de neurochirurgie du Pr David à l’Hôpital Sainte-Anne. C’est là sans doute qu’il eut l’occasion de croiser Lacan, qu’il dit avoir fréquenté pendant quelques mois à la fin de ses études de médecine (sans doute pas en tant qu’analyste puisqu’il évoque un repas pris avec lui).
A l’issue de sa première année de CES de neuropsychiatrie, celui-ci est supprimé pour être remplacé par deux spécialités : neurologie et psychiatrie. Boris Cyrulnik est nommé interne des hôpitaux psychiatriques au concours de 1968, fait trois années d’internat en psychiatrie au CH spécialisé de Digne, et valide ainsi son CES de neuropsychiatrie [ajouté le 19/07/2013 : selon sa biographie officielle. Cependant, selon Cyrulnik (2006, p.9-11), après que le service de neurochirurgie du Pr David eut refusé de le garder, l’hôpital psychiatrique départemental de Digne dans lequel il commença alors son internat refusa également de prolonger son contrat à l’issue de la première année. Ayant fait en vain appel de cette décision auprès du conseil de l’ordre, il termina semble-t-il son internat en psychiatrie dans le service du Pr « Mutter » à Marseille (plus probablement le Pr Sutter, auquel cas il s’agirait d’un drôle de lapsus)]. En vertu de l’arrêté du 30 décembre 1968 il est autorisé à revendiquer ce diplôme, mais c’est bien en psychiatrie qu’il s’est spécialisé. Selon la base de données de l’ordre des médecins, c’est d’ailleurs en tant que psychiatre qu’il a été inscrit au Tableau du Var (à partir de 1971) et qu’il y figure aujourd’hui (en retraite). On notera en passant que Marcel Rufo, qui a passé avec lui le CES de neuropsychiatrie avant de se spécialiser en pédopsychiatrie, ne se présente quant à lui jamais comme neurologue. Dès la fin de son internat en 1971 et jusqu’en 1978, Boris Cyrulnik a été médecin chef d’un établissement extrahospitalier de postcure psychiatrique (la clinique La Salvate, près de Toulon). Dans son CV2007, la seule mention de sa pratique de la neurologie hormis durant sa formation initiale est la mention « 1986-1991 : Consultant des hôpitaux. Neurologie » (en outre dans la rubrique consacrée à sa formation, et non dans celle consacrée à son « autorité médicale »). Il a donc éventuellement fait des consultations externes pouvant relever de la neurologie, mais alors sous la responsabilité d’un praticien hospitalier (titre qu’il n’a jamais eu) et de manière informelle, puisqu’il n’a semble-t-il jamais été inscrit en tant que neurologue à l’ordre des médecins. Cet aspect de sa carrière reste également à éclaircir.
Enseignement et recherches en éthologie humaine
A la fois critique de la prise en charge des malades mentaux qu’il a observée en hôpital psychiatrique, qu’il qualifie de « démission », et pressé de mettre en œuvre sa méthode consistant, « au lieu d’aller parler avec les malades », à observer « qui rencontre qui, où, et comment » (art. cit.), il coréalise dès son arrivée à La Salvate un travail d’observation des interactions entre schizophrènes « pour savoir s’il est exact, comme on l’affirmait, qu’ils ne rencontrent personne » : « toutes les heures les infirmières me téléphonaient pour me signaler la présence à tel endroit de monsieur x ou ma­dame y. On établissait des diagrammes et […] en les comparant, on pouvait constater que les schizophrènes rencontraient des gens » (07/2001, Le Monde de l’éducation). Ce travail donne lieu à la publication en 1973 d’un article non référencé dans le WoS co-signé avec R.Leroy dans les Annales Medico-Psychologiques. Je suppose que c’est à cet article qu’il fait référence lorsqu’il déclare sur un mode humoristique qu’il a publié « une des toutes premières observations d’éthologie humaine », et que « grâce à ce remarquable travail, il se retrouva d’emblée parmi les meilleurs éthologues de France » (CV2008).
Jean Sutter, professeur de clinique psychiatrique, lui confie alors un séminaire d’éthologie appliquée qu’il animera de 1974 à 1987 à la Faculté de Médecine de Marseille. Notons qu’il y officie en tant que chargé de cours (comme le sont par exemple couramment des étudiants de troisième cycle), et non en tant que professeur, titre qu’il n’a jamais obtenu quoi qu’on ait pu lire dans Le Monde et ailleurs. En 1995 est créé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Toulon, à nouveau spécialement pour lui, un Diplôme Universitaire (DU) dont la direction lui est confiée. C’est le poste qu’il occupe encore aujourd’hui : directeur d’enseignement du DU « Attachement et systèmes familiaux » (il ne s’agit pas officiellement d’un enseignement d’éthologie car il ne peut être qualifié ainsi). Je ne sais pas dans quelle mesure il dispense encore ou a dispensé lui-même des cours dans ce cadre. Quoi qu’il en soit, il a manifestement donné des cours d’ « éthologie humaine ». Mais quid de ses recherches dans ce domaine ?
Au début des années 1970, il est invité à participer aux réunions d’un réseau d’échange en matière d’éthologie humaine, probablement par Hubert Montagner, l’ami qui lui a fait découvrir l’éthologie humaine à la fin des années 1960 (selon ce qu’il confie dans Matignon, 09/2000). Fondé selon ses propres termes par « Albert Démaret, auteur du premier livre d’éthologie clinique en langue française »(Ethologie et psychiatrie, 1979) et « les professeurs Jacques de Lannoy, Jacques Cosnier, Hubert Montagner, Jean Lecamus, Claude Bensch et Pierre Garrigues » (Cyrulnik, 2001, p.8), il s’agit du fameux « Groupe d’éthologie humaine » dont il est parfois présenté comme co-fondateur. Jacques Cosnier dirigeait alors le Laboratoire de psychologie animale et comparée qu’il avait créé en 1967 à la faculté des sciences de Lyon [20], d’où la mention erronée qu’on peut parfois trouver de son départ à Lyon pour travailler avec Cosnier au CNRS. A aucun moment Boris Cyrulnik ne fut membre de ce laboratoire, ni de toute autre structure de recherche universitaire ou de type CNRS ou INSERM manifestement.
Pendant ses années de médecin chef de La Salvate (1971-1978), il donne des conférences, publie des articles dans des revues professionnelles, et deux articles scientifiques : un court article rapportant que l’observation des petits humains indique que chez eux comme chez le Chimpanzé, une déficience maternelle crée des troubles de la communication (publié seul dans une revue mineure publiant notamment les comptes-rendus de l’Association française de psychiatrie biologique), puis à nouveau avec R.Leroy et dans les Annales Médico-psychologiques un article sur les « modèles naturels de physiologie familiale » [21].
De 1979 à 1989, il publie ses deux premiers livres : Mémoire de singe et parole d’homme (1983, Hachette Littérature) et Sous le signe du lien (1989, Hachette Littérature), et dirige un ouvrage collectif (Le Visage : sens et contre-sens, 1988, Eshel). Il fait également quelques conférences et publications dans des revues professionnelles, et publie quatre articles pouvant être qualifiés de scientifiques [22]. De 1983 à 1987, c’est au sein du service hospitalier de pédopsychiatrie dirigé à Marseille par René Soulayrol, où se trouve son ami Marcel Rufo, qu’il mène ses recherches sur les jeunes enfants. Il semble qu’il ne dispose alors d’aucun rattachement formel à ce service et ne dirige pas non plus officiellement de groupe de recherche. En effet, il signe de son seul nom les trois articles de cette période, et n’y indique soit aucun rattachement, soit seulement « Association méditerranéenne d’éthologie ». Cette association domiciliée à son adresse personnelle semble n’avoir eu pour objet que de lui fournir un rattachement à un semblant de société savante, car je n’ai trouvé personne d’autre que lui s’en réclamant. De 1987 à 1989 c’est avec Maurice Ohayon, directeur du Laboratoire de Traitement des Connaissances de Faculté de Médecine de Marseille, qu’il mène un travail faisant l’objet d’un article publié avec lui.
De 1989 à 1991, il mène ses réflexions en tant que consultant au Centre médico-psychologique de La Seyne-sur-mer et membre du « Groupe azuréen de recherches en psychiatrie » du Centre hospitalier intercommunal (CHI) de Toulon-La Seyne, dont il est semble-t-il le seul membre [23]. A l’issue de cette période, il publie un unique article dans une revue scientifique, portant sur l’intérêt de l’éthologie en psychiatrie (catégorisé « éditorial » dans le WoS). Il consacre surtout ces années-là à la rédaction de deux livres : De la parole comme d’une molécule (Le Seuil, 1991) et Naissance du sens (1991, Hachette). D’après son CV, il cesse définitivement en 1991 de faire des consultations en psychiatre/neurologie.
De 1991 à 1995, il est maintenant directeur du « Groupe de Recherche en Ethologie clinique [et anthropologique] » au CHI de Toulon-La Seyne. Il indique dans son CV2008 que ce groupe était « uniquement destiné à coordonner les observations sur le terrain » faites entre autres par des vétérinaires, des psychologues, des linguistes, des neurologues et des psychanalystes, et qu’il en fit la matière de son livre suivant, Les nourritures affectives (Odile Jacob, 1993). A l’issue de cette période, il publie deux articles scientifiques comparant les troubles anxieux chez l’être humain à ceux causés chez les animaux par la perturbation de leur sphère relationnelle précoce. PubMed le crédite de deux autres articles publiés dans une revue belge mineure non référencée dans le WoS [24].
D’après son CV2007, les activités de Boris Cyrulnik au sein de ce « Groupe de recherche en éthologie » s’arrêtent définitivement en 1995. Il reste cependant à ce jour président de l’Association Française de Recherche en Ethologie Clinique et Anthropologique (AFRECA) qu’il a créée dans les années 1990. Cette association, presque aussi fantomatique que l’OIR cité plus haut et comme ce dernier rattachée à la Ligue française pour la santé mentale présidée par Roland Coutanceau, lui sert à l’occasion de pseudo-rattachement institutionnel, ainsi qu’à récolter des fonds [25]. Il n’a publié jusqu’à ce jour que trois autres articles scientifiques référencés dans le WoS ou dans PubMed, toujours seul. L’un, catégorisé « éditorial » dans le WoS, porte sur « démence et résilience ». Les deux autres sont une revue de la littérature sur l’éthologie et les corrélats biologiques de l’humeur, et un article sur l’observation en soins infirmiers [26].
Directeur d’une cinquantaine de thèses ?
Comme on l’a vu plus haut, Boris Cyrulnik a récemment été crédité de la direction d’une « cinquantaine de thèses » dans l’annonce d’une conférence, et l’enseignement qu’il dirige à l’université du Sud-Toulon-Var était selon Le Monde en 2008 censé ne cesser de « superviser thèses et mémoires ». Il met également lui-même en avant cette activité. Ainsi, dans Cyrulnik (2001, p.8), il remercie les étudiants de son DU et les « doctorants qui [lui] ont demandé de les juger », et dans Desprez (23/04/2003), il déclare qu’il est actuellement « dans le tourbillon de la résilience. Thèses, travaux, groupes : tout se bouscule ». De même, il indique dans son CV2008 qu’il a dirigé « des thèses et des publications » dont il s’est servi pour écrire son premier livre en 1983, et qu’il a été « directeur d’une cinquantaine de thèses et travaux ». Dans son CV2007, il évoque la « direction et participation au jury d’une cinquante de thèses en France et à l’étranger » en « Psychiatrie Médecine », « Psychologie IIIe cycle », « Neuro-Sciences », « Ethologie » et « Psychoéducation ».
Pourtant, en ce qui concerne la France, il ne peut avoir dirigé aucune thèse au sens usuel du terme, c’est-à-dire un travail de recherche de 3 ans minimum conduisant à l’obtention d’un doctorat universitaire. En effet, il faut pour cela en principe [26′] être titulaire d’une habilitation à diriger des recherches, or il ne l’est pas. En ce qui concerne les thèses de médecine, je n’ai trouvé la trace que de deux mémoires dirigés par lui. L’un portait sur le comportement des mères à l’immersion de leur bébé-nageur, l’autre sur le pointé du doigt chez l’enfant (c’est ce travail fait par Anne Robichez qui est à la source de ses fréquentes allusions au lien qu’il présente comme démontré et fondamental entre le pointé du doigt et l’acquisition du langage) [27]. Je n’ai trouvé dans Sudoc la trace que d’un autre mémoire (co-)dirigé par lui, présenté pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste en 2003. Je ne sais pas ce qu’il en est de ses activités à l’étranger : là encore, cela mériterait des éclaircissements.
Un grand nom de la recherche, récompensé pour celle-ci et auteur de plusieurs centaines d’articles scientifiques
Compte tenu de l’indigence de la production proprement scientifique de Boris Cyrulnik, comment se fait-il qu’on en arrive à le présenter comme un « grand nom » de la recherche ? Car un seul de ses articles indexé dans le WoS (publié en 1998) a été cité par d’autres dans l’ensemble de la littérature scientifique qui y est référencée, et ce 5 fois seulement, ce qui dit bien le peu d’intérêt que la communauté scientifique a porté à ses modestes travaux. Par comparaison, un article de Michael Rutter publié sur la résilience la même année a été cité 301 fois, et deux des premiers articles de Rutter publiés sur ce sujet en 1985 et 1987 l’ont été respectivement 842 et 1186 fois [28].
Boris Cyrulnik a certes publié chez Odile Jacob des livres mélangeant littérature et vulgarisation scientifique, fait de nombreuses publications dans divers ouvrages ou revues professionnelles, écrit de courtes chroniques dans La Recherche, journal de vulgarisation de haut niveau, et fait des conférences dont le résumé en quelques lignes a parfois été publié dans des revues scientifiques. Mais il ne saurait ignorer que tout cela ne relève pas de ce qu’on appelle communément « article scientifique » ou « publication scientifique ». En réunissant les bases WoS et PubMed, on arrive au mieux à 14 articles publiés par lui dans des revues scientifiques référencées en tant que telles, dont trois après 2001. Pourtant, selon sa notice Who’s Who de 2000-2001, il est l’auteur de plusieurs centaines d’articles scientifiques (!). De même, dans son CV2007 il se crédite de « 200 publications scientifiques dont une cinquantaine dans des revues qualifiantes ». Si Boris Cyrulnik ne se résoud pas à avouer ce qui relève (pour le moins) de la forfanterie, j’examinerai avec beaucoup d’intérêt la liste de ses centaines d’articles scientifiques, s’il se décide à la fournir.
Mais alors, comment se fait-il qu’il ait obtenu en 2004 un prix de la recherche médicale ? C’est ce que laisse en effet croire son CV2007, où figure la mention « Prix Jean Bernard. Recherche Médicale. Fondation de France », ainsi que l’annonce de sa conférence de 2013 citée plus haut. De même, sur le site de l’Observatoire International du Couple (dont j’ai déjà parlé ici) créé par son ami Philippe Brenot, dont Boris Cyrulnik est membre du comité scientifique, on peut lire non seulement qu’il a à son actif « plus de 200 publications scientifiques dans le domaine de la psychiatrie, de l’éthologie et dans le champ de l’attachement et de la résilience », mais aussi qu’il « a obtenu le prix Jean Bernard pour la recherche médicale en 2004 ». De manière encore plus explicite, sur le site dédié à la publicité du « Théâtre de la science », une programmation culturelle que le même Philippe Brenot a créée en 1996 « sur une idée de Boris Cyrulnik », on peut lire qu’il a été « [r]écompensé par le Prix Jean Bernard pour ses travaux en recherche médicale » [29]. En fait, ce prix lui a été donné non pas au titre de ses travaux en recherche médicale, mais en « hommage à son œuvre qui a permis d’enrichir les connaissances du grand public en matière de neuropsychiatrie », le jury ayant par ailleurs cru (ou fait semblant de croire) qu’il était l’ « inventeur du concept de résilience » [30].
Le meilleur résumé de la carrière scientifique essentiellement théâtrale de Boris Cyrulnik me semble avoir été fait par lui : « J’essaye d’être scientifique, j’ai réussi à le faire croire, de temps en temps » (La grande librairie, 27/09/2012).
« MENSONGE », « MYTHOMANIE », « MEGALOMANE », « MANIPULER », « COMEDIE », « THEATRE »
Il est étonnant que ses arrangements avec la réalité n’aient pas été relevés par des journalistes. Tout d’abord, certains étaient très facilement accessibles. Par exemple, le fait qu’il ne soit pas l’inventeur de la résilience a été écrit à plusieurs reprises (y compris par lui), et je m’étonne donc non seulement que certain-e-s aient néanmoins persisté à écrire le contraire, mais aussi que personne n’ait relevé qu’il lui arrivait de le laisser croire. De même, cinq minutes suffisent pour interroger PubMed ou le WoS et voir qu’il est très loin d’avoir publié les centaines d’articles scientifiques dont il se crédite. Par ailleurs, sous couvert d’autodérision ou non, il a envoyé de multiples messages qui auraient pu mettre la puce à l’oreille.
Par exemple, dès les premières années de sa starisation il ne cesse d’affirmer qu’il existe un lien de causalité entre traumatisme précoce (dont on sait alors qu’il a souffert) et mythomanie, mensonge ou mégalomanie, lien à nouveau affirmé récemment dans les extraits cités au début du présent billet. Ainsi, il évoque le « pouvoir de rêve qu’il qualifie aujourd’hui de pathologique » qui lui a permis de changer le cours de son destin (O’Dy, 17/04/1997), explique que « le mensonge est une preuve d’intelligence » (de Solemne, 03/1999), évoque le « mensonge à soi » qui permet d’anesthésier les blessures (Crignon & Weill, 18/03/1999), affirme qu’ « [o]n observe également une forte dose de mégalomanie chez les résilients » (Taubes, 03/2001), ou encore avoue : « J’étais un rêveur mégalomane, et cela me protégeait de tout » (Nivelle, 21/02/2001).
Il va même jusqu’à expliquer que « nous sommes contraints de nous mentir, nous avons un devoir de « se mentir ». […] ; c’est l’auto-mensonge nécessaire, le leurre nécessaire. Je suis obligé de me leurrer pour me donner une direction et peut-être pour donner sens à ma vie » ; selon lui, « le mensonge participe à la structure de la personnalité, et même la favorise », et parmi les enfants abandonnés dans des situations innommables, « ceux qui s’en sortent sont ceux qui rêvent le plus, ceux qui se mentent le plus […], ces enfants-là se sauvent grâce à l’auto-leurre, grâce au mensonge. D’ailleurs, ce sont des comédiens, des menteurs extraordinaires » (de Solemne, 03/1999).
De manière également significative, il relève des similitudes étonnantes entre son parcours et celui de Jean-Claude Romand, l’homme qui s’est fait passer de nombreuses années pour le médecin et chercheur à l’OMS qu’il n’était pas (dont il préface la biographie), et affirme : « Un enfant qui ne joue pas à faire semblant […] a vraisemblablement de graves troubles de la relation. Il n’ose pas, il ne sait pas manipuler le monde mental des autres […]. Avant la parole, dès l’âge de 15 mois, l’enfant doit savoir faire semblant de pleurer ou de se cacher […] Plus tard, après l’acquisition de la parole, il mentira pour se protéger […] Un enfant qui ne ment pas ne sait pas se protéger […] La mythomanie nous est nécessaire comme mode d’identification […] C’est vital pour la structure. La mythomanie est fondatrice de notre destin. […] Malheur à ceux qui n’ont jamais menti, ils sont soumis au réel ! » (Mathieu, 09/2002).
Concernant plus précisément la nature de son discours pseudo-scientifique, il donne également des pistes. Ainsi, il avait été relevé dans Le Monde que dans son nouveau livre, son « ironie salubre » lui faisait avertir d’emblée ses lecteurs : « les observations qui vont suivre dans ce livre sont fausses » (Jaccard, 06/04/1990). Plus tard, il n’hésite pas à expliciter ce qui à mon avis donne le meilleur éclairage qui soit sur le contenu de tous ses livres : « On croit qu’on est objectif et, en fait, toute opinion est une autobiographie métamorphosée […] Quand j’écris, je m’adresse à l’ami invisible, au lecteur parfait qui me comprendra […] L’écriture maîtrise l’émotion. On expose, on pose hors de soi un problème qui est en soi. Soit parce qu’on a été choqué par la maladie, par un problème personnel, un traumatisme…» (Gobin, 01/11/2003). Il avait dans le même sens été noté dans L’Express que selon son ami Gérard Paquet, ancien directeur du théâtre de Châteauvallon, « »[d]ans ses écrits, il y a une très grande recherche sur lui-même. » » (Huret & Cousin, 16/01/2003). Il avoue encore ailleurs : « Je suis lâche. C’est pourquoi je ne fais que des autobiographies à la troisième personne. […] J’ai pensé que je cesserais d’être un épouvantail si j’arrivais à devenir psychiatre […] Si j’avais été parfaitement équilibré, je serais devenu ébéniste comme mon père. Ce n’est pas normal d’être psychiatre » (Labbé & Recasens, 18/09/2008). Dans l’autobiographie empreinte d’autodérision qu’il a mise en circulation à l’usage des médias (cf CV2008), il se dit en toute fausse modestie « incroyablement surestimé », incapable d’expliquer son « succès immérité », et avoue pince-sans-rire avoir décidé en 1998 de consacrer ses forces « et surtout celles des autres » à l’étude de la résilience.
Soulignons pour finir qu’il a déclaré s’être « longtemps caché » derrière le prénom Bernard (Labbé & Recasens, 18/09/2008), qu’à travers le « petit Bernard » il avait « parfois raconté [s]on histoire avec le masque d’un autre nom » (Colombani, 28/09/2012). C’est-à-dire en particulier que dans le livre qui a fait exploser sa carrière éditoriale et médiatique (Cyrulnik ,1999), lorsqu’il présente et analyse longuement, en tant que psy, le « cas » du petit Bernard , il ment à ses lecteurs en leur cachant qu’il s’agit d’une introspection. Pire, ce cas est en partie inventé puisqu’il raconte (avec force détails poignants) les souffrances du petit Bernard à Auschwitz alors qu’il n’a lui-même jamais été déporté. C’est finalement peut-être dans ce livre qu’on trouve exprimé le plus clairement son rapport à la vérité lorsqu’il s’agit de (se) raconter sa propre histoire : « Il ne s’agit pas de mensonges, mais de recomposition du passé. Il est certain qu’un récit dépend de l’intention de celui qui parle et de l’effet qu’il désire produire sur la personne à qui il s’adresse. Pour réaliser ce projet, [Bernard] utilise les événements de son passé pour inventer une chimère autobiographique […] » (p.31) ; « [Bernard] choisit dans son passé quelques éléments réels dont il se fait une représentation, […]. Il a métamorphosé sa souffrance en œuvre d’art, en théâtre intime […].[…] notre histoire n’est pas la même selon que l’on s’adresse à soi-même, à une femme qu’on veut séduire, à sa famille qu’on veut préserver ou à un courant social qui ne sait entendre qu’un seul type de récit normo-moral. »(p.125-126).
UN JURASSIC-PSY* AU SERVICE D’UNE DROITISATION RAMPANTE DES ESPRITS
* [C’est ainsi qu’il se qualifie lui-même ainsi que son ami Marcel Rufo dans Gobin (01/11/2003)]
Boris Cyrulnik semble bien s’amuser à faire croire qu’il est scientifique, à faire croire qu’il pense [31], et à se payer le luxe de l’avouer aux spectateurs de France 5 et aux lecteurs de Libération en sachant qu’ils ne le prendront pas au sérieux. Il s’amuse même à préciser qu’il n’est pas comme son ami Marcel Rufo motivé par « le plaisir de parler en public », mais par celui de « jouer à parler en public. De jouer » (Gobin, 01/11/2003).
Après tout, pourquoi pas, si ce qu’il raconte sous couvert de science est effectivement scientifiquement établi. Moi qui sur ce blog ne parle qu’en mon nom, et qui ai préféré l’action concrète immédiate dont je ressentais l’urgente nécessité à l’obtention d’un titre de docteur en sociologie, je serais bien mal placée pour dire que la possession de tel diplôme ou titre autorise seule à s’exprimer publiquement sur tel ou tel sujet.
Mais Boris Cyrulnik, non content de se présenter sous un jour pour le moins trompeur, déverse en outre sans vergogne dans l’espace public, au nom de sa pseudo-expertise scientifique, des affirmations fondées non pas sur de solides données scientifiques mais sur ses convictions personnelles, renforcées par des informations douteuses qu’il grappille ça et là et reformule allégrement, des affirmations parfois complètement farfelues et à l’occasion agrémentées de mensonges éhontés, comme j’en ai donné des exemples ici et ici. Comme il l’écrit lui-même dans ce qui ressemble à un nouvel aveu déguisé et plus ou moins conscient : « Parfois, les méthodes scientifiques sont tellement sophistiquées que les résultats difficiles à lire peuvent être interprétés selon nos désirs, même inavouables. […] Il est difficile d’accepter une information pour ce qu’elle est. On est toujours tenté de l’ « idéologiser » et d’établir des rapports de causalité exclusive où une donnée scientifique partiellement vraie mène à une conclusion totalement fausse. Il est tellement plus agréable d’exprimer nos désirs inavouables sous le masque de la science. » (Cyrulnik, 06/2005). C’est là que le bât blesse, et blesse doublement.
Car s’il est déjà problématique en soi qu’une imposture d’une telle ampleur ait pu se mettre en place et durer si longtemps, il l’est a fortiori que cette imposture ait pu servir à instiller dans les esprits des idées qui ont de fortes implications politiques. Depuis plus de vingt ans, Boris Cyrulnik défend en effet de manière diffuse et néanmoins têtue voire obsessionnelle, la faisant passer pour scientifiquement établie soit explicitement, soit du fait de la stature scientifique qui lui est prêtée, l’idée qu’il existe entre individus en général et entre hommes et femmes en particulier d’importantes différences de tempéraments et de comportements qui sont naturelles, déterminées par des prédispositions génétiques, par les hormones sexuelles ou par les modifications physiologiques liées à la maternité. Et il le fait de manière d’autant plus efficiente que ses multiples expertises supposées, son image de réconciliateur non dogmatique, le profond humanisme dont tous ses actes et ses pensées passent pour procéder, et son statut d’opposant par essence à l’idéologie d’extrême droite suggèrent que s’il le dit, c’est que ça ne peut être que vrai.
Compte-tenu de ses immenses succès éditoriaux et surface médiatique, j’incline à penser que Boris Cyrulnik a été un artisan important en France de la banalisation et « scientification » de cette idée. L’exposé de l’épais dossier dont je dispose à ce sujet sortant de l’objet du présent blog et mon billet étant déjà bien long, je m’arrête ici et pour l’instant. J’attends maintenant avec une impatiente curiosité de voir quel effet le présent billet aura sur la communauté journalistique à laquelle il est notamment destiné, et quelle réponse le Dr Cyrulnik y apportera (ou pas).
Odile Fillod
PS (28/09/2017) : le journaliste Nicolas Chevassus-au-Louis a questionné Boris Cyrulnik sur la base du présent billet. Voici comment il s’en est sorti : « Je ne prétends pas être scientifique, et encore moins éthologue. […] On m’a parfois présenté comme psychanalyste, mais je n’ai jamais exercé cette profession » (« Le grand bazar de Boris Cyrulnik », La revue du crieur, n°6, février 2017, p.23-37). Il continue pourtant à se présenter ainsi sur son blog hébergé par le Huffington Post : « Neurologue, psychiatre, éthologue et psychanalyste ».

Sagan

L’audacieux et rusé éditeur Jean-Marc Roberts (1954-2013) n’était pas homme à reculer devant la perspective d’un coup médiatique – c’est même tout le contraire. Pourquoi Denis Westhoff, fils de Françoise Sagan et dépositaire de sa succession, ne l’a-t-il pas écouté lorsqu’il lui déconseilla, il y a quelques années, de faire paraître cet inédit qu’on tient aujourd’hui entre les mains, Les Quatre Coins du cœur, dont les quelque quatre-vingt mille exemplaires tirés par les éditions Plon inondent aujourd’hui les librairies ? « Il m’a dit que ce texte était trop brouillon, inachevé et incohérent pour le publier, que cela donnerait une mauvaise image de ma mère », raconte Denis Westhoff, interviewé ce jeudi dans Le Monde – comme Roberts avait raison… Le « hasard », orchestré par Denis Westhoff et Plon, fait surgir ce roman posthume à la veille du 15e anniversaire de la mort de Françoise Sagan, le 24 septembre 2004, à l’âge de 69 ans. Où ce manuscrit inachevé dormait-il depuis lors ? Denis Westhoff a beau l’expliquer dans la préface qu’il a donnée au livre, et y revenir dans les entretiens organisés dans le cadre de la promotion de cet inédit, on ne comprend pas bien. Quelles interventions s’est-il autorisées sur le texte, qu’il décrit comme originellement « privé de certains mots, parfois même de passages entiers », et souffrant en outre d’incohérences ? Là encore, cela demeure hautement flou.

Nathalie Crom
(j’ai eu le même ressenti en entendant le fils de Sagan et son éditeur)

Debray Stendhal

« La fonction présidentielle s’est privatisée comme les aéroports et services publics »    🙂

VincentGloeckler 15 septembre 2019

« Dans le pays où 1789, c’était la faute à Voltaire et à Rousseau, et 1940 à André Gide et Marcel Proust, personne ne songe plus à mettre « le suicide français » sur le dos de la NRF ou des Éditions de Minuit. On enquiquine son monde en lui parlant bouquins, sauf à enchaîner de suite sur le testament de Johnny ou la dernière série Netflix. Le trésor national vivant, le monstre sacré, le délégué du génie national à l’étranger, c’est celui dont le pied laisse une trace sur le Walk of Fame d’Hollywood Boulevard. C’est Montand ou Aznavour (180 millions de disques) ou, intra-muros, Johnny. Donner sa couleur à l’époque, accompagner nos joies et peines, faire vibrer plusieurs générations de suite, ce n’est plus dans les moyens du noircisseur de pages. L’imprimé a cessé d’imprimer. Plus compétitif. Seuls les bons restaurateurs parisiens et les clercs de notaires donnent encore du « Maître au folliculaire ». c’est le show-biz et le stade qui mènent la danse et concentrent les honneurs, les réseaux et les hommages présidentiels. De l’image à l’image, c’est en circuit fermé qu’on est sûr de se faire voir et entendre des populations. »

Des progressistes

Les « progressistes » soutiennent le « progrès » et s’opposent aux « réac ».
Le progrès serait la conséquence d’une volonté d’amélioration de la conditions des hommes, cette motivation justifiant la condescendance un peu méprisante affichée vis à vis des « réac », bornés et rétrogrades, résumés péjorativement comme tenants du « c’était mieux avant » .
Ces esprits ouverts et avancés pourraient-ils réfléchir sur les réelles motivations qui conduisent aux « progrès » technologiques ou sociétaux.
Cette motivation ne serait elle pas une recherche perpétuelle et anarchique du gain de fric par certains ou du plaisir perso et narcissique pour d’autres?
Ces esprits ouverts et avancés pourraient-ils analyser objectivement les conséquences réelles sur le bonheur des hommes qui résultent de chaque « progrès » technologique ou sociétal