Controverse sur France Culture
Au micro de Guillaume Erner, chaque vendredi à 7h12, Nicolas Martin, producteur de l’émission « La méthode scientifique », du lundi au vendredi à 16h sur France Culture, vient éclairer certains aspects de l’épidémie de coronavirus.
Ce matin, 25 septembre 2020, qu’en est-il de la mutation du virus ? Que peut impliquer une mutation du SARS-CoV2 ? Quels effets en matière de contagiosité ?
Nicolas Martin fait le point :
Le virus a-t-il muté ?
« Dans la dernière vidéo qu’il a postée sur le site de l’IHU (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée), Didier Raoult dit je cite « ce n’est pas la même maladie qui circule ». Il dit encore : « il existe différents mutants qui sont corrélés avec l’existence de formes moins graves ». Il dit encore : « c’est un phénomène, le Sars Cov 2 vit un phénomène de mutation accélérée ».
« J’ai le regret de vous dire que tout cela est soit complètement faux, soit très approximatif en tout cas, ça a la vertu de semer la confusion. Nous allons donc reprendre tout ça depuis le début et essayer de comprendre la réalité de ce que sont les mutations de ce coronavirus. »
« Le Sars Cov 2, c’est un virus à A. R. N. Ce n’est pas l’ADN. L’ARN, c’est la phase intermédiaire entre l’ADN et la transcription en protéines. C’est un virus ARN qui est très long, beaucoup plus que les virus à ARN classique. Il a 30.000 bases là où la grippe, par exemple, en a entre 10 et 15 et le VIH, en a 9000. C’est un virus, donc très long. Il s’avère que les virus à ARN, quand ils se retranscrivent notamment en protéines ou quand ils se dupliquent, font des erreurs. Les virus, quand ils mutent, font plein d’erreurs – contrairement à l’ADN, qui est très, très stable. »
« Le Sars Cov 2, lui, a un outil de correction d’erreur. C’est ce qui fait que c’est un virus très stable. C’est un virus qui mute moins que les virus habituels, comme la grippe (pour la grippe, on doit se faire vacciner chaque hiver, par exemple, parce que le virus a muté et qu’il faut donc se préparer à un autre virus). Le Sars Cov 2, lui, est très stable grâce à cet outil de correction. On estime qu’il a des mutations pérennes environ une à deux fois par mois. »
« Mais oui, le Sars Cov 2 mute. Tous les virus mutent. C’est même une stratégie de défense contre le système immunitaire. Mais mutation ne veut pas dire évolution. La mutation, c’est quand le virus se réplique à l’intérieur des cellules, quand à un moment donné, au lieu de mettre une lettre, il se trompe et en met une autre. Et qu’est ce qui se passe quand il y a une lettre qui est remplacée au moment de la transcription ? La plupart du temps, l’écrasante majorité du temps, il ne se passe rien. Pourquoi ? Parce que tout l’ARN, comme l’ADN, n’est pas codant. Par exemple, dans notre génome, on estime jusqu’à 98% de notre ADN qui n’est pas codant, qui est de l’ADN non codant, c’est-à-dire qui ne sert pas à exprimer des protéines. C’est la même chose pour les virus. »
Donc la plupart du temps, une mutation, ça ne se voit, pas.
« L’autre écrasante majorité, c’est que quand une lettre change, ça fait comme une sorte d’ erreur, comme dans un code informatique, et du coup, ça fait une erreur fatale et du coup, le virus n’est pas viable, il meurt. Il est extrêmement rare qu’une mutation change le fonctionnement du virus. Et encore plus pour le Sars Cov 2, puisque, comme je vous le disais, il y a ce système de correction qui est inclus à l’intérieur de l’ARN viral. »
Les propos de Didier Raoult sur un virus mutant corrélé avec des symptômes moins graves
« Tout part d’un article de la revue « Cell » au mois de juillet (2020), qui a fait la phylogénie du virus = d’où venaient les différents clades. Il y a des petites mutations et on dit qu’il y a sept grands clades, depuis la Chine, qui se sont répartis sur l’ensemble du monde. Par exemple, il y a un clade européen, un clade américain, un clade chinois. Bref, ça ne change pas la nature du virus, mais il y a des petites modifications qui font qu’on peut les repérer comme ça. Et cet article de la revue « Cell » a noté une mutation qui s’appelle G 614. »
« On remarque, quand on fait la phylogénie du virus, que cette variante, G 614, est sortie de Chine et elle s’est répandue partout en Europe dès le mois de mars. Nous tous, en France, aux Etats-Unis, en Occident, en Amérique du Sud, nous sommes contaminés par la variante G 614. »
« Si cette mutation s’est répandue, c’est qu’elle a un avantage évolutif puisqu’ elle a supplanté l’autre ? Vraisemblablement. On a regardé ça in vitro. Effectivement, on se rend compte que le variant G 614 est plus infectieux, ça veut dire qu’il rentre mieux à l’intérieur des cellules. »
« Plus infectieux », ceci ne veut pas dire « plus contagieux », mais que le virus a plus de facilité à rentrer dans la cellule – ça c’est in vitro.
« Le problème, c’est qu’aujourd’hui, aucune étude (comme nous l’a confirmé Anne Goffard, virologue à l’Institut Pasteur de Lille), n’a mis en évidence que ce qu’on constate in vitro se passe in vivo. Entre le laboratoire et la vie réelle, il y a un océan, un univers, et ce n’est pas parce qu’on voit des choses in vitro que c’est réel, in vivo. C’est exactement ce qui s’est passé avec l’hydroxychloroquine : ça bloque la réplication du virus in vitro, mais ça ne marche pas in vivo. »
La délétion du virus
« Un article publié dans « Le Lancet » le 18 août 2020 parle de la délétion Delta 382. L’étude du « Lancet » est une méta étude : elle a pris des données à postériori dans des hôpitaux et examiné la version du virus qui avait infecté un certain nombre de patients. Et le résultat de cette méta étude, c’est que là, il y avait moins à priori de besoins en supplémentation en oxygène chez les patients qui étaient infectés par cette version Delta 382. »
Du coup, ça voudrait dire que cette version du virus est moins virulente. Mais problème – ça, pour le coup, c’est une réalité (la méta étude) – c’est que cette version, cette modification, ce variant du virus, est extrêmement limitée géographiquement. On ne la trouve qu’à Singapour et autour, dans sa région. Cette version n’est pas arrivée en Europe. »
Donc, il n’est pas vrai de dire qu’aujourd’hui, la version qui circule et qui nous contamine est une version moins virulente que celle qu’on avait au mois de mars. C’est a priori strictement la même.