Covid-19 : malgré la quarantaine, des passagers d’un vol international à l’origine de multiples chaînes de contamination
L’histoire se déroule en Nouvelle-Zélande, pays qui pratique une stratégie d’isolement et de mise en quatorzaine à ses frontières dans le but d’éliminer le coronavirus SARS-CoV-2. Le 18 septembre 2020, un cas de Covid-19 est identifié. Le patient est un des passagers d’un vol international en provenance d’Inde.
À sa descente d’avion, cet homme (G) avait pourtant été soumis à une période de 14 jours d’isolement dans un hôtel de Christchurch et avait été testé négatif à deux reprises à un test PCR, en l’occurrence trois et douze jours après son arrivée. À la fin de la quatorzaine, le 11 septembre, il prend un vol intérieur pour se rendre à Auckland. C’est là, après qu’il ait présenté des symptômes, que l’on découvre qu’il est infecté par le SARS-CoV-2.
Ce passager (G) fait partie d’un groupe de 149 ressortissants néo-zélandais, ou résidents permanents, de retour au pays le 27 août 2020. Il a voyagé à bord d’un Boeing 747 de New Delhi (Inde) à Christchurch (Nouvelle-Zélande) avec escale à Nadi aux îles Fidji.
Cet homme n’est pas le seul passager du vol international à destination de Christchurch à avoir été testé positif pour le SARS-CoV-2. Au total, huit personnes sont dans ce cas, dont trois passagers ayant voyagé de New Delhi à Nadi à seulement deux rangées les uns des autres. Nous les désignerons par les lettres A, B et C. Tous les passagers ont observé une distanciation physique dans cet avion dont le taux d’occupation avoisinait 35 %, les passagers étant régulièrement espacés dans la cabine.
Le voyageur C a été testé positif le 8 septembre 2020, deux jours après avoir présenté des symptômes, soit une dizaine de jours après son arrivée en Nouvelle-Zélande. Cette chronologie laisse donc à penser qu’il a été contaminé lors du vol d’Inde vers la Nouvelle-Zélande par le passager A ou le passager B. Ces derniers ont eux-mêmes pu être contaminés avant ou durant le vol. Tous les passagers étaient tenus de porter un masque durant le vol, l’équipage respectant les mesures barrières.
À leur arrivée à Christchurch, les passagers ont été débarqués par groupes de dix afin de respecter la distanciation physique dans le terminal de l’aéroport. Chacun d’eux a alors reçu un masque chirurgical. Tous les passagers ont ensuite été transférés par autobus dans l’hôtel Crowne Plaza servant de centre d’isolement et de mise en quarantaine. Chaque chambre avait une salle de bain et ne possédait pas de balcon.
Lorsque le passager C est détecté positif pour le SARS-CoV-2, cela fait douze jours qu’il est confiné dans sa chambre d’hôtel. Il est alors placé dans une section à part de l’établissement. Avant cela, sa chambre était mitoyenne de celle qu’occupaient un adulte et un enfant, également passagers du vol en provenance d’Inde et donc eux aussi maintenus en quarantaine. Ces deux personnes, baptisées D (adulte) et E (enfant), qui ont été testées négatives pour le SARS-CoV-2 à deux reprises, n’ont pas présenté de symptômes lorsqu’elles étaient encore dans l’établissement hôtelier. Un test PCR effectué sur chacune d’elles après leur quarantaine est cependant revenu positif. L’adulte et l’enfant ont probablement été infectés durant leur séjour à l’hôtel, estiment les auteurs de cette enquête épidémiologique publiée le 18 mars 2021 dans la revue en ligne Emerging Infectious Diseases.
Images de vidéo-surveillance
Comment les passagers C, D et E ont-ils pu être infectés par le coronavirus alors même que ces trois personnes n’ont jamais été en contact entre elles en dehors de leur chambre ? Les images du circuit fermé de télévision de l’hôtel ont permis de lever le mystère.
Le 12ème jour de la quatorzaine, le test PCR de routine a lieu sur le pas de la porte des chambres d’hôtel. Il s’avère que la porte de la chambre du passager C et celle de la chambre des passagers D et E sont restées ouvertes durant cinquante secondes. En d’autres termes, il s’est écoulé moins d’une minute entre le moment où la chambre de l’adulte D et l’enfant E était ouverte et celui où la porte du passager C s’est refermée. Lors de l’écouvillonnage nasal, les masques ont évidemment été brièvement abaissés pour dégager le nez, ce qui a pu exposer D et E à des aérosols en suspension dans l’air. « Par conséquent, nous formulons l’hypothèse que les aérosols en suspension dans l’air ont constitué le mode probable de transmission et que le couloir de l’hôtel, espace clos et non ventilé, a probablement facilité cet événement », déclarent les enquêteurs. Ceux-ci soulignent par ailleurs qu’une expertise du système de ventilation a révélé que les chambres avaient une pression nette positive par rapport au couloir.
Pendant longtemps, une transmission via les poubelles communes du couloir avait été considérée comme une voie de transmission possible du virus. Cette hypothèse est aujourd’hui considérée comme peu probable dans la mesure où le passager D a manipulé le couvercle de la poubelle plus de vingt heures après que le passager C l’ait touché.
Au terme de la quatorzaine, l’adulte D, l’enfant E, de même qu’un passager A (rétabli depuis) testé positif trois jours après son arrivée et un autre passager (G), empruntent un vol intérieur pour se rendre de Christchurch à Auckland. Dans ce Boeing 737, dont près de la moitié des sièges sont inoccupés, tous les passagers portent un masque. Le passager G est assis juste devant D et E, le passager A occupant un siège plus éloigné.
À leur arrivée à l’aéroport d’Auckland, les passagers D et E sont accueillis par un contact familial (F). Le passager G rencontre dans sa famille deux personnes (H et I). Quelque temps plus tard, l’adulte D (ou l’enfant E) transmet le virus à F, tandis que G, qui a sans doute été contaminé par D ou E lors du vol de Christchurch à Auckland, contamine probablement un adulte H et un enfant I (enfant de G et H).
Les épidémiologistes des autorités sanitaires d’Auckland et de Christchurch, qui ont analysé les génomes viraux de neuf prélèvements biologiques des patients A, B, C, D, E, F, G, H et I, ont trouvé un lien génomique entre les virus SARS-CoV-2 de ces neuf personnes.
Cette étude approfondie illustre la contamination par le SARS-CoV-2 via de multiples chaînes de transmission dans des contextes différents, en l’occurrence lors d’un vol international, dans un hôtel réservé à l’isolement et à la quarantaine de passagers, lors d’un vol domestique, puis au sein du foyer familial. L’enquête épidémiologique a par ailleurs bénéficié de l’apport d’images de télévision en circuit fermé et du séquençage génomique.
Selon les auteurs, leur étude est en faveur de la « transmission du SARS-CoV-2 par aérosols, sans contact direct entre individus ». Et de conclure que leurs résultats renforcent la nécessité de mettre en place des processus rigoureux de contrôle aux frontières pour les pays visant à éliminer la Covid-19 et d’intégrer des données génomiques aux enquêtes épidémiologiques.
Source Marc Gozlan (Le Monde)