Variants et « vaccin »

Pour qui veut comprendre un peu mieux comment ça se passe, voici une explication très claire des phénomènes de biologie cellulaire impliqués.

Analyse par MARC GOZLAN dans « réalités biomédicales » d’un article scientifique (lui) publié par des chercheurs (des vrais eux) sud-africains.

Ce n’est pas très rassurant hélas

On est bien loin des prestations télévisuelles et twitteriennes de certaines et certains « infectiologues » qui se font le buzz à bon compte.

Des chercheurs sud-africains rapportent 19 janvier 2021 sur le site de prépublication bioXriv des résultats indiquant que les mutations présentes dans le variant sud-africain 501Y.V2 lui confèrent la possibilité d’échapper à l’activité neutralisante des anticorps produits lors d’une infection naturelle, voire post-vaccination.

Rappel : la protéine S (spike, spicule) de surface du coronavirus SARS-CoV-2 se lie au récepteur cellulaire ACE2. Au sein de la protéine S se trouve le domaine de liaison au récepteur : le RBD (receptor binding domain). Le RBD est la principale cible des anticorps produits lors de l’infection naturelle. Ces anticorps destinés à contrer l’infection d’autres cellules cibles par le virus sont dits neutralisants.

Structure du RBD (domaine de liaison du récepteur) du coronavirus SARS-CoV-2. Modélisation d’un complexe formé par un anticorps de classe I (vert) et de classe II (violet) [1]. Emplacement des trois mutations K417N, E484K, N501Y au sein du RBD.

Les variants du SARS-CoV-2 sont caractérisés par l’émergence de changements localisés dans la protéine S. Or la variabilité du virus à ce niveau revêt une importance cruciale dans la mesure elle définit notamment sa capacité d’échapper au système immunitaire.

Une question essentielle est donc de déterminer si les mutations accumulées par le variant sud-africain peuvent le rendre moins sensible à la réponse immunitaire humorale, celle qui dépend de l’activité neutralisante des anticorps, et donc de savoir s’il pourrait se produire un échappement immunitaire. En d’autres termes, quid du risque de réinfection et d’une perte d’efficacité, partielle ou totale, des vaccins actuels contre ce variant isolé en Afrique du Sud et dont on sait qu’il est présent en France métropolitaine (Grand-Est, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie) et en outre-mer à Mayotte ?

Structure du domaine N-terminal du SARS-CoV-2 (en bleu). En rose : anticorps neutralisant (4A8) dirigé contre la boucle N5 (N5-loop supersite).

Le RBD n’est pas la seule région reconnue par les anticorps neutralisants. Située à l’opposé du RBD dans la protéine S, le domaine N-terminal ou NTD est également une cible privilégiée. La plupart des anticorps dirigés contre le NTD reconnaissent un site, impliquant une « boucle », soit la boucle N1 (résidus 14 à 26), N3 (résidus 141 à 156) ou N5 (résidus 246 à 260).

Le variant SARS-CoV-2 récemment identifié en Afrique du Sud renferme 23 mutations dont neuf se situent dans la protéine S. Ces dernières sont classées en deux catégories. La première intéresse le NTD et se composent de quatre changements en acides aminés (substitutions L18F, D80A, D215G, R246I) et d’une délétion (perte de trois acides aminés). La seconde catégorie porte sur le RBD et consiste en trois mutations entrainant des substitutions (K417N, E484K, N501Y). La mutation N501Y, qui implique le remplacement de l’acide aminé N (asparagine) par l’acide aminé Y (tyrosine), est associée à une augmentation de la transmissibilité. La mutation E482K qui implique le remplacement de l’acide aminé E (acide glutamique) par l’acide aminé K (lysine), a été associée à une diminution de l’activité neutralisante des anticorps.

Des mutations dans ces mêmes régions de la protéine S ont été découvertes dans des variants identifiés au Brésil. D’autres variants, présentant certes un moindre risque en termes d’échappement immunitaire, ont également été identifiés au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Les immunologistes disposent de plusieurs anticorps monoclonaux ciblant très spécifiquement une région du RBD de la protéine S. Ces anticorps sont produits par des clones particuliers de cellules B mémoire identifiés et isolés à partir des patients Covid-19. Certains d’entre eux ont été développés à des fins thérapeutiques.

Les chercheurs de l’équipe de Penny Moore du National Health Laboratory Service de Johannesburg ont évalué la capacité d’anticorps monoclonaux à neutraliser le variant sud-africain 501Y.V2. L’analyse de ces anticorps monoclonaux indiquait que leur cible était précisément le résidu K417 dans la protéine S.

Du fait que la recherche sur le SARS-CoV-2, virus pathogène respiratoire, implique de prendre d’extrêmes précautions pour les chercheurs, ceux-ci préfèrent pour leurs expériences menées en laboratoire utiliser un virus mimant le coronavirus. Pour ce faire, ils emploient un lentivirus portant la protéine S du SARS-CoV-2. On désigne ces virus artificiels, qui se comportent comme de « faux coronavirus », sous le nom de pseudovirus. Les chercheurs sud-africains ont montré que tous les anticorps capables de neutraliser efficacement le lignage originel (souche virale circulant antérieurement) ont été incapables de neutraliser les pseudovirus mimant le variant 501Y.V2, confirmant ainsi l’importance de l’acide aminé K417.

Constantinos Kurt Wibmer et ses collègues du National Institute for Communicable Diseases et de l’université de Johannesburg ont également montré l’effet de la délétion de trois acides aminés dans le NTD du variant sud-africain. Celle-ci se situe dans une région correspondant à la boucle N5. Cette délétion désorganise totalement cette zone habituellement reconnue par les anticorps neutralisants. Les résultats montrent que sa présence permet au variant 501Y.V2 de modifier la capacité de reconnaissance des anticorps et ainsi leur échapper.

Résistance aux anticorps chez la moitié des patients convalescents

Les chercheurs sud-africains ont évalué l’effet des mutations présentes dans la protéine S du variant 501Y.V2 sur leur capacité à être reconnues par l’ensemble des anticorps (polyclonaux) présents dans le sérum des patients Covid-19 convalescents, certains ayant été hospitalisés pour une forme sévère de la maladie. Il ressort que près de la moitié (21 sur 44) des sérums de ces sujets convalescents n’avait aucune activité neutralisante vis-à-vis du variant 501Y.V2. Parmi ceux-ci, trois sérums provenaient d’individus qui avaient présenté une forme sévère et avaient développé des concentrations (« titres ») élevées en anticorps. Sur les 44 sérums testés, trois présentaient une activité neutralisante réduite de 67, 77 et 86 fois par rapport au lignage originel. Seuls trois sérums renfermaient des titres élevés en anticorps contre le 501Y.V2.

Les immunologistes ont ensuite cherché à déterminer quelle(s) mutation(s) (seule ou associées) avaient entraîné cet échappement immunitaire. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé des virus chimériques, porteurs à leur surface d’une forme mutée du RBD de la protéine S. Une réduction substantielle de la capacité de neutralisation de ces mutants artificiels a été alors observée. Plus précisément, 27 % des sérums évalués ne présentaient aucun pouvoir neutralisant vis-à-vis des triples mutants RBD, en l’occurrence des virus chimériques porteurs des mutations K417N, E484K, N501Y présentes dans le variant 501Y.V2. Seulement 23 % de sérums testés possédaient un titre élevé en anticorps dirigés contre ces triples mutants RBD.

Ces différences en termes d’échappement immunitaire vis-à-vis du variant 501Y.V2 ou de la protéine mutante RBD soulignent l’importance des mutations se situant hors du RBD, en l’occurrence celles situées sur le NTD (domaine N-terminal), estiment les chercheurs.

Les chercheurs se sont ensuite intéressés à l’ensemble des anticorps (dit polyclonaux) développés en cas d’infection naturelle. En effet, le SARS-CoV-2 induit également des anticorps non-neutralisants. Les chercheurs sud-africains ont déterminé si le variant 501Y.V2 induisait également la production d’anticorps non-neutralisants.

Il s’avère que la plupart des patients infectés par le variant 501Y.V2 possèdent des anticorps polyclonaux reconnaissant la protéine S. Environ un tiers des sérums (14 sur 44) renfermaient un titre en anticorps cinq fois moindre que celui observé chez des patients qui avaient été infectés par le lignage originel (variant D614G), ce qui revient à dire qu’il faudrait cinq fois plus de sérum pour neutraliser la même quantité de virus.

En comparaison, trois patients avaient des titres en anticorps polyclonaux 11, 12 et 16 fois inférieurs à ceux observés en cas d’infection par la lignée virale qui circulait antérieurement.

Le variant sud-africain peut-il échapper aux vaccins ?

Reste à savoir quel rôle les anticorps non-neutralisants jouent dans la réponse à l’infection naturelle par le nouveau variant ? Peuvent-ils pallier la diminution de l’activité des anticorps neutralisants ? Interviennent-ils dans l’immunité post-vaccinale ? La question se pose dans la mesure où l’efficacité des vaccins anti-Covid-19 repose sur leur capacité à induire une réponse en anticorps dirigés contre la protéine S, et principalement sur la production d’anticorps neutralisants. Ceux-ci sont en effet constamment présentés comme les paramètres immunologiques les plus significativement associés à la protection vaccinale. Or, ces travaux montrent qu’une proportion significative d’anticorps non-neutralisants se lient au variant 501Y.V2.

De même, quid de la réponse immunitaire cellulaire vis-à-vis de ce variant isolé en Afrique du Sud ? On ignore en effet le rôle que jouent, parallèlement à l’immunité humorale, les lymphocytes T mémoire. Des études sont en cours.

Enfin, existe-t-il un risque de réinfection par le variant sud-africain ? En d’autres termes, les anticorps développés lors d’une infection récente par le SARS-CoV-2 protègent-ils contre une infection ultérieure par le variant 501Y.V2 ? Autant de questions importantes auxquelles il n’est pas possible, à ce stade des recherches conduites en laboratoire, de répondre mais que les résultats présentés par les chercheurs sud-africains soulèvent avec acuité. On peut noter à ce propos qu’un variant porteur de la mutation E484K (associé à un échappement immunitaire) a récemment été identifié au Brésil dans deux cas de réinfection. Ces patients avaient présenté une infection antérieure par un virus d’un autre lignage (B.1.1.33).

Selon les chercheurs sud-africains, une chose est sûre : « la vitesse et l’ampleur de l’échappement immunitaire vis-à-vis des anticorps neutralisants préexistants, observé avec le variant 501Y.V2, soulignent le besoin urgent de pouvoir rapidement adapter les vaccins [aux variants émergents], de même que la nécessité d’identifier dans le virus des cibles moins susceptibles de muter et pouvant servir d’antigènes vaccinaux ».

Évaluer l’activité neutralisante des anticorps vis-à-vis de nouveaux variants chez des sujets vaccinés

Il importe également de déterminer le degré de l’activité neutralisante des anticorps générés par la vaccination vis-à-vis du variant identifié en Afrique du Sud, comme d’autres variants. C’est justement ce qu’ont cherché à déterminer l’équipe de Michel Nussenzweig et Paul Bieniasz de l’université Rockefeller (New-York). Leurs résultats ont été communiqué le 19 janvier 2021 sur le site bioRxiv.

Zijun Wang et ses collègues ont effectué une étude qui a porté sur 20 volontaires ayant reçu deux doses d’un vaccin à ARN messager. Quatorze sujets avaient reçu celui de Moderna (mRNA-1273) et six autres avaient été vaccinés avec le vaccin Pfizer (BNT161b2). L’activité neutralisante des anticorps a été déterminée en utilisant de « faux coronavirus », ces pseudovirus étant artificiellement porteurs de la protéine S du SARS-CoV-2.

Trois à quatorze semaines post-vaccination, l’activité neutralisante plasmatique était similaire à celle observée dans une cohorte de patients près d’un mois et demi après l’infection naturelle mais supérieure à celle observée chez ces mêmes individus à six mois post-infection. Il n’a pas été observé de différence dans l’activité neutralisante entre les vaccins de Pfizer et de Moderna.

Les immunologistes ont évalué chez les vingt participants l’activité neutralisante des anticorps vis-à-vis de deux variants et un panel de mutations dans le RBD (K417N, E484K, N501Y). Les variants étaient celui identifié au Royaume-Uni (B1.1.7), porteur de la mutation N501Y, et le 501Y.V2, découvert en Afrique du Sud et qui renferme les trois mutations K417N, E484K et N501Y.

Les chercheurs ont observé une légère diminution de l’activité neutralisante contre certaines mutations. Cette réduction était d’un facteur de 1 à 3 vis-à-vis de la mutation E484K, d’un facteur 1,3 à 2,5 contre la mutation N501Y et de 1,1 à 3 concernant la triple combinaison de mutations K471N/E484K/N501Y. « Nous en concluons que l’activité neutralisante plasmatique générée par la vaccination à ARN messager est variable mais significativement moins efficace contre certains mutants RBD particuliers du panel testé », déclarent les auteurs.

Des anticorps représentatifs (84 au total) provenant des quatre sujets vaccinés ont été testés pour leur réactivité vis-à-vis de formes mutées de RBD. Il s’agissait donc de savoir si ces anticorps étaient ou non capables de se fixer sur ces protéines RBD porteuses de mutation(s). Globalement, les chercheurs ont observé qu’environ un quart des anticorps (26 %) ont montré une diminution d’un facteur 5 pour au moins un des mutants RBD.

Les immunologistes ont ensuite testé dix-sept des plus puissants anticorps neutralisants contre un ensemble de pseudovirus correspondant à douze variants SARS-CoV-2. Il ressort que neuf des dix-sept anticorps testés étaient au minimum dix fois moins efficaces contre des pseudovirus porteurs de la mutation K417N. Par ailleurs, cinq anticorps dirigés contre K417N et quatre spécifiques de N501Y étaient moins efficaces d’un facteur dix ou plus.

Les chercheurs ont enfin utilisé un virus mimant le SARS-Cov-2, à savoir un virus exprimant à sa surface la protéine S du coronavirus. Mis en culture, ces virus hybrides ont mis en présence de divers anticorps afin de mimer la pression exercée par le système immunitaire dans un organisme humain [2]. Le but était de déterminer si la pression imposée par les anticorps sur ces virus, répliques artificielles du SARS-CoV-2, pouvait conduire in vitro à l’émergence de mutations de résistance. Cela s’est effectivement avéré être le cas pour tous les anticorps testés.

Selon les chercheurs, leurs expériences indiquent que le variant identifié au Royaume-Uni (B.1.1.7, également appelé 501Y.V1 ou encore VOC 202012/01), de même que celui découvert en Afrique du Sud (501Y.V.2) ou encore au Brésil (B1.1.28 ou 501.V3), voire d’autres variants potentiels porteurs des mutations K417N/T, E484K/N501Y, ont la capacité de réduire le pouvoir neutralisant de sérums de sujets vaccinés. « Les effets relativement modestes des mutations sur la sensibilité du virus aux anticorps présents dans le plasma reflète la nature polyclonale des anticorps neutralisants chez le plasma des sujets vaccinés », autrement dit la variété des cibles de ces immunoglobulines. Façon de dire que l’effet modeste observé ne remet pas en question l’efficacité des vaccins actuels.

Les chercheurs ajoutent néanmoins qu’on ne sait pas quel sera l’effet à long terme de l’accumulation de mutations sur la pandémie. « Ainsi, il est possible que ces mutations, et d’autres pouvant émerger chez les personnes dont l’immunité est sous-optimale ou déclinante, éroderont l’efficacité de l’immunité engendrée par l’infection naturelle ou la vaccination », déclarent-ils. Et de conclure que leurs données indiquent que « les vaccins contre le SARS-CoV-2 pourraient avoir besoin d’être mis à jour et l’immunité devra être surveillée pour tenir compte de l’évolution du virus ».

Appel pressant à une action pan-européenne

Une correspondance publiée le 21 janvier dans The Lancet fait écho aux deux études sud-africaine et américaine citées plus haut. Ces chercheurs réclament un plan d’action pan-européen de lutte contre la propagation des nouveaux variants. Du fait d’une large circulation du virus dans des populations ayant un faible niveau d’immunité collective et de la pression de sélection évolutive du virus, « l’émergence de nouveaux variants du SARS-CoV-2 continuera, ce qui conduira à de nouveaux variants du SARS-CoV-2 potentiellement plus contagieux, et peut-être à des variants contre lesquels les vaccins actuels seront moins efficaces », déclarent les signataires.

Selon Viola Priesemann et ses collègues originaires de dix pays européens, « de tels variants pourraient aggraver la crise sanitaire, bien avant que suffisamment de personnes soient vaccinées », avant d’ajouter qu’« avant d’attendre de disposer de données expérimentales permettant de comprendre ces nouveaux variants, des décisions à l’échelon pan-européen doivent être prises et des actions entreprises immédiatement afin de limiter la diffusion de ces nouveaux variants ».

Les principales mesures préconisées consistent à parvenir à un faible nombre d’infections et à maintenir cet objectif, éviter l’importation de nouveaux variants (par la réduction des voyages intérieurs et au travers des frontières nationales, la pratique de tests et la quarantaine des voyageurs en provenance de pays étrangers), à améliorer la surveillance génomique, et augmenter rapidement le rythme des vaccinations.

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