Cet article qui fait le point sur la mutation virale puis celle du covid « anglais », cela de façon très claire et très compréhensible par chacun, est issu de « mes vaccins.net » et écrite par Hugues Tolou, médecin, ancien directeur scientifique de l’
En outre, dans cette période où tout et son contraire sont affirmés de façon péremptoire, l’article a le grand mérite d’être intellectuellement honnête et de n’avoir aucun objectif partisan
« Alors que l’épidémie de covid 19 est toujours active partout dans le monde, avec des effets plus ou moins contenus par les mesures de protection et les quelques traitements dont on dispose, et que la mise à disposition des premiers vaccins fait entrevoir la possibilité d’un contrôle prochain, l’annonce de la découverte de virus mutants soupçonnés d’avoir acquis des propriétés nouvelles est devenue un sujet d’inquiétude. En effet, l’apparition de virus pouvant se transmettre plus facilement, au pouvoir pathogène accru, ou capables d’infecter des personnes précédemment immunisées pourrait créer une situation nouvelle, remettant en cause une partie des progrès attendus et un avenir déjà incertain.
Pourquoi et comment les virus mutent-ils ?
Les mutations sont des modifications du génome viral, qui, pour la plupart, se produisent de façon spontanée et aléatoire pendant l’étape de réplication du génome à l’intérieur des cellules infectées. Ce génome est constitué de l’enchainement linéaire de milliers de bases dont il existe 4 types, A, C, G et T (pour l’ADN) ou U (pour l’ARN). L’ordre dans lequel sont rangées les bases sur la chaine définit la séquence du génome et le code qui guidera la synthèse des protéines. Les mutations sont le plus souvent le résultat d’erreurs commises par les enzymes qui recopient le génome original, infectant, en milliers ou millions de génomes fils incorporés dans les nouvelles particules virales. Ces erreurs se produisent avec une fréquence relativement élevée chez les virus dont le génome est constitué d’un ARN simple chaine, comme les coronavirus, car l’absence de chaine complémentaire, comme il en existe dans notre ADN, ne permet pas d’effectuer un contrôle et une correction éventuelle des nouvelles copies. En moyenne, dans le monde viral, les chaines d’ARN qui sont synthétisées incorporent une base erronée toutes les 10 000 bases. Ces remplacements sont qualifiés de mutations ponctuelles. Leur fréquence varie quelque peu d’un virus à un autre, en fonction du mode de réplication, mais le phénomène fixe une limite à la taille des génomes constitués d’ARN simple chaine : des génomes dépassant 30 ou 40 000 bases accumulent trop de mutations à chaque réplication pour que leur survie soit possible.
Les coronavirus, dont le SARS-CoV-2, ont un génome ARN d’environ 30 000 bases, l’un des plus grands connus de ce type. On peut donc estimer que chaque nouveau génome viral produit lors d’une infection, et il y en a des milliards chez une seule personne infectée, est susceptible de comporter trois mutations, réparties sur la longueur de la chaine d’ARN. Ce taux parait très élevé, et les coronavirus pourraient en fait avoir développé un système de « correction d’épreuve », non encore identifié, leur permettant de continuer à exister. Quoi qu’il en soit, on voit que l’apparition de génomes viraux mutés est un processus naturel, rapide et continu, auquel contribuent également des mécanismes tels que les délétions (perte d’un segment de génome), les additions et les recombinaisons susceptibles de se produire entre plusieurs génomes présents simultanément dans la même cellule.
L’exposition à des agents mutagènes, comme les rayonnements ionisants et certains produits chimiques, peu augmenter encore le taux de mutation. Elle est de ce fait parfois utilisée au laboratoire pour l’étude des propriétés des virus.
Pourquoi les mutations du SARS-CoV-2 nous intéressent-elles ?
Toutes les mutations qui surviennent ne vont pas donner des virus dotés de « super-pouvoirs » ! Au contraire, une immense majorité restera indétectable. Beaucoup, dites létales, produisent des génomes incapables de se répliquer et disparaissent totalement. D’autres, également nombreuses, ne modifient pas les propriétés des virus. Ce sont des mutations qui touchent les régions de l’ARN qui ne sont pas traduites en protéines (régions non codantes), ou des mutations qui touchent les régions codantes mais qui ne modifient pas les propriétés et les fonctions des protéines produites. On parlera selon le cas de mutations neutres, silencieuses ou synonymes. Elles ont toutefois un grand intérêt, car elles sont détectées lorsqu’on étudie au laboratoire la séquence des génomes des virus isolés dans des prélèvements variés et elles permettent de différencier avec une grande précision des isolats ou des souches de virus. La comparaison de séquences nombreuses et la détermination de « parentés » permet de retracer le parcours des virus et même d’estimer a posteriori le temps depuis lequel ils évoluent dans une population, parfois de façon inapparente : la fréquence d’apparition des mutations, qui est très stable, détermine en effet une « horloge » qui indique la date approximative d’apparition des virus. Alors que l’étude des mutations nous renseigne sur l’évolution du SARS-CoV-2, c’est par la recherche des homologies qui persistent avec des génomes de virus isolés chez des animaux qu’on essaie d’en trouver l’origine.
Au final, seul un petit nombre de mutations du virus va se traduire par l’acquisition de caractéristiques et propriétés nouvelles. Il s’agit surtout des mutations qui provoquent des modifications des protéines virales, qui vont se trouver aussitôt soumises à la « pression de sélection ». Cette pression se manifeste dans tous les mécanismes et les circonstances où la mutation va conférer au virus un avantage ou un désavantage par rapport au virus d’origine. Les virus avantagés auront alors tendance à devenir de plus en plus nombreux, alors que les populations de virus désavantagés se réduiront, parfois jusqu’à disparaitre. La combinaison des phénomènes de mutation et de sélection contribue à l’adaptation du virus à son hôte, au terme de laquelle un équilibre est constitué et se maintient tant que les conditions n’en sont pas modifiées.
Il est très difficile d’appréhender ces phénomènes dans leur globalité, et de savoir ce qui constituera ou non un avantage pour un virus. On entend souvent que l’adaptation s’accompagne d’une diminution du pouvoir pathogène, le virus n’ayant rien à gagner à tuer son hôte. Il y a cependant des exceptions. C’est généralement a posteriori que l’on constate le succès de tel ou tel variant, il est rarement possible de le prédire et parfois difficile de l’expliquer. Le constat lui-même n’est pas aisé car, en l’absence de marqueur évident de changement (nouveaux symptômes, maladie différente, nouvelles voies de transmission, résistance à un traitement…), on doit s’en remettre à des prélèvements systématiques et très larges et au séquençage pour détecter les variants et estimer la fréquence relative des différentes formes du virus.
Pourquoi accorde-t-on autant d’attention au « variant anglais » VUI-202012/01 ?
Ce SARS-CoV-2 muté a été initialement découvert en septembre 2020, grâce au séquençage systématique des virus prélevés lors des tests de dépistage et de diagnostic. Il est porteur de la mutation « N501Y », où l’acide aminé asparagine (N) de la séquence d’origine est remplacé par une tyrosine (Y) en position 501 sur la protéine de surface S. On s’intéresse particulièrement à lui pour plusieurs raisons :
- On a constaté en décembre que le variant était devenu très fréquent dans les prélèvements provenant de certaines régions d’Angleterre, pouvant représenter plus de 20 % des virus isolés, ce qui pourrait être la marque d’un avantage acquis par le virus.
- L’acide aminé remplacé se situe au niveau de la région de la protéine S qui se fixe au récepteur cellulaire ACE2 pour permettre l’infection. La mutation pourrait donc modifier l’affinité pour le récepteur dans un sens favorable au virus, ou même lui donner la possibilité de se fixer à d’autres récepteurs.
- La mutation N501Y est associée, selon les isolats, à près d’une vingtaine d’autres mutations réparties sur plusieurs protéines virales, dont la protéine S. Ces mutations, qui semblent avoir été co-sélectionnées, pourraient modifier plusieurs des propriétés du virus, dans un sens qu’il reste à identifier.
- La région de la protéine S qui est modifiée est une cible pour les anticorps que nous produisons pour nous débarrasser du virus et nous protéger ensuite d’une ré-infection. Logiquement, elle est l’un des antigènes retenus dans la composition des vaccins qui commencent à être utilisés. On peut dès lors se demander si ces vaccins, conçus à partir de la protéine d’origine, protègeront efficacement contre des virus mutés.
- La diffusion, sur un temps relativement court, d’un virus portant plusieurs mutations associées pose question. On a du mal à concevoir que ce variant ait pu se constituer en étapes successives, en passant de personne à personne. On pense qu’il aurait pu apparaitre chez un seul malade, qui serait resté infecté pendant plusieurs semaines, peut-être en raison d’un système immunitaire défaillant.
On n’a pas à ce jour les réponses aux questions posées, ce qui justifie la surveillance et les recherches dont VUI-202012/01 fait l’objet (VUI = Variant Under Investigation). Son succès épidémiologique, alors qu’il est retrouvé à présent dans de nombreux pays, et les premières observations semblent indiquer un gain dans l’efficacité de transmission, estimé entre 50 et 74 % et particulièrement marqué chez les jeunes. Ce gain reste toutefois à confirmer, car il pourrait résulter d’un biais : le variant est découvert dans des prélèvements effectués en grand nombre chez des personnes jeunes, qui se protègent peu et se font beaucoup tester.
On ne sait pas encore aujourd’hui si le variant est responsable de nouvelles formes de covid 19, éventuellement plus graves ou plus difficiles à traiter. Pour le déterminer, il va falloir étudier de nombreux cas de malades, atteints de formes variées de covid 19, et déterminer la séquence des virus qui les ont infectés.
Alors que tous les pays attendent beaucoup des campagnes de vaccination qui débutent, il reste également à déterminer si les bons résultats d’efficacité observés lors de l’évaluation des vaccins seront retrouvés face à un virus modifié. Sur ce point, les avis sont pour l’heure plutôt rassurants : les vaccins induisent des réponses humorales et cellulaires dont les cibles sont multiples et qui devraient rester efficaces. Le suivi des personnes vaccinées sera donc important à plus d’un titre. S’il le fallait, un fabricant a déjà fait savoir qu’il estimait pouvoir adapter la composition de son vaccin en quelques semaines. Cependant, les tests qui seront nécessaires avant utilisation pourraient prendre beaucoup plus de temps.
Dans le doute, et par précaution, des pays ont cherché à empêcher l’introduction de VUI-202012/01 sur leur territoire, sans succès. D’autres variants susceptibles de poser des problèmes, récemment repérés en Afrique du Sud et au Nigéria, ont commencé à se répandre. Il est donc important de développer partout la détection, la surveillance et l’étude des variants du SARS-CoV-2, afin de définir et d’adopter au plus vite les mesures susceptibles de mettre fin à l’épidémie. Celles qui sont destinées à limiter la transmission et le nombre de cas sont plus que jamais d’actualité, car elles réduisent également les possibilités de mutation du virus. »