Simone Weil

A propos de l’égalité

Le respect est dû à l’être humain comme tel et n’a pas de degrés.

Simone Weil à Joë Bousquet le 13 avril 1942
L’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité.
Il est donné à très peu d’esprits de découvrir que les choses et les êtres existent. Depuis mon enfance je ne désire pas autre chose que d’en avoir reçu avant de mourir la révélation complète. Il me semble que vous êtes engagé dans cette découverte.
(…) Cette découverte fait en somme le sujet de l’histoire du Graal. Seul un être prédestiné a la capacité de demander à un autre « Quel est donc ton tourment ? » Et il ne l’a pas en entrant dans la vie. Il lui faut passer par des années de nuit obscure où il erre dans le malheur, loin de tout ce qu’il aime et avec le sentiment d’être maudit. Mais au bout de tout cela il reçoit la capacité de poser une telle question, et du même coup la pierre de vie est à lui. Et il guérit la souffrance d’autrui.

La pesanteur et la grâce
Considérer toujours les hommes au pouvoir comme des choses dangereuses.

……

Pour ceux dont le je est mort, on ne peut rien faire, absolument rien. Mais on ne sait jamais si, chez un humain déterminé, le je est tout à fait mort, ou seulement inanimé. S’il n’est pas tout à fait mort, l’amour peut le ranimer comme par une piqûre, mais seulement l’amour tout à fait pur, sans la moindre trace de condescendance, car la moindre nuance de mépris précipite vers la mort.

….

C’est une faute que de désirer être compris avant de s’être élucidé soi-même à ses propres yeux. C’est rechercher des plaisirs dans l’amitié, et non mérités. C’est quelque chose de plus corrupteur encore que l’amour. Tu vendrais ton âme pour l’amitié.
Apprends à repousser l’amitié, ou plutôt le rêve de l’amitié. Désirer l’amitié est une grande faute.
L’amitié doit être une joie gratuite comme celle que donne l’art, ou la vie. Il faut la refuser pour être digne de la recevoir : elle est de l’ordre de la grâce («Mon Dieu, éloignez-vous de moi…»). Elle est de ces choses qui sont données par surcroît. Tout rêve d’amitié mérite d’être brisé. Ce n’est pas par hasard que tu n’as jamais été aimée… Désirer échapper à la solitude est une lâcheté. L’amitié ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas ; elle s’exerce (c’est une vertu). Abolir toute cette marge de sentiment, impure et trouble. Schluss !
Ou plutôt (car il ne faut pas élaguer en soi avec trop de rigueur), tout ce qui, dans l’amitié, ne passe pas en échange effectifs doit passer en pensées réfléchies. Il est bien inutile de se passer de la vertu inspiratrice de l’amitié. Ce qui doit être sévèrement interdit, c’est de rêver aux jouissances du sentiment. C’est de la corruption. Et c’est aussi bête que de rêver à la musique ou à la peinture. L’amitié ne se laisse pas détacher de la réalité, pas plus que le beau. Elle constitue le miracle, comme le beau. À vingt-cinq ans, il est largement temps d’en finir radicalement avec l’adolescence…

Note sur la suppression générale des partis politiques
Supposons un membre d’un parti, député, candidat à la députation, ou simplement militant, qui prenne publiquement en public l’engagement que voici :  » Toutes les fois que j’examinerai n’importe quel problème politique ou social, je m’engage à oublier absolument le fait que je suis membre de tel groupe, et à me préoccuper exclusivement de discerner le bien public et la justice.  » Ce langage serait mal accueilli. Les siens et beaucoup d’autres l’accuseraient de trahison.

L’enracinement
La symbolique grecque explique le fait que Pythagore ait offert un sacrifice dans sa joie d’avoir trouvé l’inscription du triangle rectangle dans le demi-cercle.

Le cercle aux yeux des Grecs, était l’image de Dieu. Car un cercle qui tourne sur lui-même, c’est un mouvement où rien ne change et parfaitement bouclé sur soi-même. Le symbole du mouvement circulaire exprimait chez eux la même vérité qui est exprimée dans le dogme chrétien par la conception de l’acte éternel d’où procèdent les relations entre les Personnes de la Trinité.

La moyenne proportionnelle était à leurs yeux l’image de la médiation divine entre Dieu et les créatures. Les travaux mathématiques des Pythagoriciens avaient pour objet la recherche de moyennes proportionnelles entre nombres qui ne font pas partie d’une même progression géométrique, par exemple entre l’unité et un nombre non carré. Le triangle rectangle leur a fourni la solution. Le triangle rectangle est le réservoir de toutes les moyennes proportionnelles. Mais dès lors qu’il est inscriptible dans le demi-cercle, le cercle se substitue à lui pour cette fonction. Ainsi le cercle, image géométrique de Dieu, est la source de l’image géométrique de la Médiation divine. Une rencontre aussi merveilleuse valait un sacrifice.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *