A propos de son dernier ouvrage « Apocalypse cognitive », des extraits d’interview du journal Le Point:
« Jamais dans l’Histoire l’être humain n’a bénéficié d’autant de temps disponible, soutient-il, ni n’a été soumis à une telle masse d’informations. Mais loin d’utiliser ces trésors pour élever l’humanité à un stade supérieur de connaissances, il en devient le jouet…
Instinct. Surinformé, plongé dans un océan planétaire de données, de croyances, de fake news, de démagogie et de mensonges, le cerveau humain est désormais l’enjeu d’une lutte d’influences visant à en capturer les tendances naturelles et à en exploiter les fragilités. Dans cette course permanente pour capter l’attention du public, médias, fournisseurs de contenus, publicitaires, idéologues, politiques même s’adressent à nos instincts plus qu’à notre raison, dévoilant certains éléments de notre nature profonde façonnés par des millénaires d’évolution : l’obsession du sexe – liée à l’instinct de reproduction –, le conflit – consubstantiel à la vie en groupe –, la peur – condition de la survie en milieu hostile… Ces mêmes instincts qui ont permis à l’homme du néolithique de développer des civilisations successives entraîneront-ils l’humanité, demain, sur une pente inverse ?
Face à cette vertigineuse perspective, Gérald Bronner défend une approche basée sur la connaissance et le développement de l’esprit critique. Mais cette approche, prévient-il, a un préalable : la lucidité. Pour se libérer des innombrables manipulations qui le menacent, l’homme doit en premier lieu accepter de regarder en face sa propre nature, et se libérer des « mythes » découlant du déterminisme social dont s’inspire encore largement la sociologie contemporaine. Puisque les thèses actuelles ne permettent pas de comprendre ni de penser le réel, il convient d’en changer, en balayant les idéologies qui refusent cette « part sombre » de la nature humaine. En clair, Pierre Bourdieu et ses disciples se trompent, assène-t-il : si l’environnement social influence évidemment les individus, le pouvoir prêté à des entités collectives (« le capitalisme », « le système », « les dirigeants »…) échoue à rendre intelligibles les conséquences du chaos informationnel qui bouleverse nos sociétés. Au contraire : nos données numériques prouvent que nous sommes aussi naturellement dotés de dispositions cognitives qui déterminent nos comportements.