Hypocrisie générale
Le citoyen lambda est soulagé de croire qu’il aura une solution au problème du CO2 sans avoir à prendre le bus ou le vélo. Les industriels peuvent affirmer que leurs voitures deviendront sans impact sur l’environnement, ce qui recueille l’assentiment général. Et les élus se font bien voir par leurs électeurs en effectuant la promotion de ce moyen de locomotion, sans rappeler que la condition est d’avoir une électricité bas carbone.
Pour électrifier tout ce qui roule sur route, en France, il faudrait augmenter d’un gros 40% la consommation d’électricité. Et si les batteries sont vidées chaque jour et que tout le monde se rebranche le soir, cela crée un fameux problème. En France, avec 30 millions de véhicules et 40 kW d’appel de puissance pour une recharge rapide, il faudrait plus de 1.200 GW disponibles! (la puissance d’un réacteur nucléaire classique est d’environ 1 GW, NDLR). Même en divisant d’un facteur 10 (parce que les batteries ne sont pas vidées tous les jours, qu’elles utilisent pour une partie la recharge lente…) on dépasse encore les 100 GW, ce qui est la puissance de pointe pilotable du réseau en France. Ce qui veut dire qu’il faudrait doubler ce parc pilotable, dont l’éolien et le photovoltaïque ne font pas partie
La fabrication des batteries pose aussi problème.
Plus on utilise un métal léger et plus la quantité d’énergie stockée par kilo grimpe. Pour cette raison, il n’y aura rien de mieux que le lithium, dont les gisements intéressants sont limités. Ils sont en outre souvent situés dans des endroits désertiques, et pour extraire le lithium, il faut de l’eau…
Un autre goulet d’étranglement, c’est le cobalt: on ne l’exploite pas en tant que tel, c’est un sous-produit de l’extraction du nickel ou du cuivre. Et on ne va pas exploiter de nouveaux gisements de nickel juste pour fabriquer du cobalt. Il y a aussi la question des terres rares, nécessaires pour les aimants permanents des moteurs électriques, mais pour lesquelles la visibilité sur les quantités réellement disponibles est mauvaise.
Que préconise Jancovici?
Si on veut baisser les émissions de gaz à effet de serre aussi vite que possible, il faut commencer par faire des voitures thermiques plus légères, plus sobres et moins nombreuses. Il faut notamment une réglementation qui impose une baisse beaucoup plus rapide des émissions des véhicules neufs sur le marché, et un arrêt de toutes les échappatoires (comme considérer que l’électrique en Allemagne est zéro émission). Un encouragement massif à la conversion électrique est tout à fait prématuré.
L’électrification doit venir dans un deuxième temps, quand les voitures seront devenues plus petites et moins puissantes, et que l’électricité viendra effectivement de sources bas carbone. Cela rendra les choses beaucoup plus aisées. Il y a tout de même des niches sur lesquelles, dès à présent, c’est une bonne idée de passer à l’électrique: pour les bus qui s’arrêtent et redémarrent en permanence, par exemple. Et aussi pour les tout petits véhicules, comme les scooters, qui ont un moteur thermique dont le rendement est particulièrement mauvais. Mais électrifier tout le parc de voitures, avec leurs performances actuelles, c’est difficile à imaginer. Je prends les paris avec qui veut que cela ne se produira pas.