Décivilisation

Extrait du journal « La Revue des deux Mondes » de ce mois.

LA DÉCIVILISATION À L’ŒUVRE

La légitimité de l’État civilisateur et son cadrage des violences, individuelles et communautaires, sont aujourd’hui remis en cause. « Toutes les formes de destruction qui en résultent renvoient au concept de pulsion de mort forgé par Freud », analyse Josepha Laroche. Plus qu’un simple « ensauvagement », la professeure de science politique décrypte, dans la Revue, la « décivilisation » de notre société.

Dans la France de 2020, la question de l’insécurité mobilise le débat politique car elle inquiète les Français. Dans cette « France Orange mécanique », nous observons en effet une explosion des incivilités, une banalisation du vandalisme et des violences extrêmes ainsi que la multiplication d’actes de barbarie. Il se révèle donc essentiel d’en prendre la mesure et d’en comprendre la signification.

Le concept de pulsion de mort forgé par Sigmund Freud dans le cadre de sa théorie générale de l’appareil psychique peut nous permettre d’y parvenir. Le fondateur de la psychanalyse l’a introduit pour la première fois en décembre 1920 dans Au-delà du principe de plaisir, il y a donc tout juste un siècle. Depuis, ce texte est devenu canonique, marquant un tournant majeur dans la réflexion du théoricien.

Freud inaugure avec cet écrit sa seconde topique psychique. Celle-ci comprendra dorénavant le moi, le ça et le surmoi, là où il n’y avait auparavant qu’un espace moins conceptualisé, plus informe et imprécis composé du conscient, du préconscient et de l’inconscient. Autant dire que cette avancée porte témoignage d’un réagencement majeur de la pensée freudienne. Cette dernière pourra désormais offrir de plus larges perspectives analytiques, en particulier grâce à la théorie des pulsions. Dans les années qui suivront, le concept de pulsion de mort tiendra une place importance dans son oeuvre. Freud le placera par exemple au centre de Malaise dans la civilisation.
« Pour Freud, la pulsion de mort, c’est la pulsion par excellence, celle qui maintient les hommes dans un état antérieur à la civilisation, un état pré-culturel, celui de la barbarie. » 

La première acception de la pulsion de mort qu’il en donne caractérise, selon lui, l’aspiration fondamentale de tout être humain à retrouver le repos absolu de l’anorganique, c’est-à-dire se fondre dans le néant qui aurait précédé la vie. Vient ensuite la seconde définition suivant laquelle le thanatos (la pulsion de mort) se manifeste par des orientations agressives, des mouvements d’emprise et de volonté de puissance. Tournée vers toutes les formes d’autodestruction et de destruction, cette pulsion comprend les tendances à l’anéantissement d’autrui aussi bien qu’à la destruction de soi, ce en quoi elle présente une dimension éminemment régressive. Pour Freud, la pulsion de mort, c’est la pulsion par excellence. Celle qui tire l’humain vers l’en-deçà, l’infraculturel, voire l’infrahumain ; celle qui maintient les hommes dans un état antérieur à la civilisation, un état pré-culturel, celui de la barbarie.

Dans sa théorie générale, la pulsion de mort figure en lien étroit avec le principe de réalité et le principe de plaisir (éros). Deux grands opérateurs psychiques qui apparaissent fondamentalement antagoniques et structurent chacun de nous. Ce couplage constitue en quelque sorte un axe en fonction duquel se construiraient nos prédispositions et s’élaboreraient nos actions et réactions.

Le premier représente celui par lequel les sujets font l’apprentissage du réel, apprentissage qui leur permet, grâce à des détours et des ajournements nécessaires – voire indispensables – d’atteindre la satisfaction de certains de leurs désirs. Quant au second référent qui régit notre organisation mentale, il renvoie à l’ensemble des activités humaines ayant pour but d’éviter le déplaisir et de rechercher systématiquement le plaisir. Cependant, il ne se réduit en aucune manière à la satisfaction des besoins vitaux. Il s’agit bien davantage d’un régulateur du fonctionnement mental qui appelle des conduites d’évitement ou favorise l’évacuation de tensions déplaisantes.

JOSEPHA LAROCHE

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