Autopsie du précédent confinement
Alors que s’initie un nouveau confinement total, Nicole et Gérard Delépine reviennent sur le bilan du dernier confinement (17 mars – 11 mai 2020) et contestent vivement l’idée répandue selon laquelle cette décision politique liberticide aurait globalement « limité la mortalité ».
« Il est temps d’évaluer objectivement les résultats du précédent confinement forcé à domicile en se basant sur les faits observés. L’étude de la progression initiale de l’épidémie ne montre aucune preuve de discontinuité dans le taux de croissance, le temps de doublement et les tendances des nombres de contaminations avant et après instauration du confinement (1). Une comparaison montre que les pays voisins ayant appliqué des mesures de distanciation sociale moins restrictives ont connu une évolution temporelle en termes de contamination très similaire. Ce confinement aveugle n’a pas non plus raccourci la durée de l’épidémie, avec des courbes similaires de décroissance dans les tous les pays européens proches de la France, sans aucun avantage, ni en précocité, ni en rapidité.
La comparaison de la propagation de l’épidémie en Belgique (confinée strictement) et aux Pays-Bas (non confinés) suggère même que le confinement pourrait avoir accéléré les contaminations. Avant le confinement, la prévalence de l’infection était semblable dans les deux pays ; dix jours après le confinement le nombre de contaminations quotidien a fortement augmenté en Belgique alors qu’il continuait à croître doucement aux Pays-Bas avant de se stabiliser à près de la moitié des chiffres observés en Belgique.
Selon les données de l’OMS publiées le 10 juin (Situation report 141), la mortalité par le Covid-19 a été nettement plus élevée dans les pays qui ont confiné brutalement comme le nôtre (Espagne, Belgique, Italie) que dans les pays qui ont considéré leurs citoyens comme des adultes, en leur donnant de simples conseils (Allemagne,Japon, Corée, Singapour) :
Les raisons de l’échec patent du confinement aveugle ont été largement précisées dans nos chroniques. Elles résultent essentiellement de la non-séparation des infectés et des personnes saines favorisant ainsi la contamination de ces dernières et du retard ou de l’absence de protection des personnes charnières (soignants, policiers, salariés et usagers des transports publics) au moment de l’essor de l’épidémie.
Le confinement a été aussi responsable d’un surplus important de mortalité des patients non Covid
Pour faire le bilan réel du confinement, il faut aussi prendre en compte ses complications psychiques et sociétales, l’impact de la crise économique et les mortalités collatérales. Le plan blanc, réservant la quasi-totalité des moyens d’hospitalisation au Covid-19 a ainsi sacrifié d’autres malades dont la prise en charge a été dramatiquement retardée. En région parisienne, une étude de l’Inserm (2) montre que le nombre d’arrêts cardiaques a doublé pendant le confinement, et que la survie de ces patients a été divisée par deux par rapport aux chiffres habituels. Compte tenu de la moyenne d’environ 50000 arrêts cardiaques observés en France par an (3) on peut estimer à plus de 1200 le nombre de victimes d’arrêts cardiaques supplémentaires induits par le confinement
Quant aux cancéreux, ils ont souffert d’arrêt, de retard ou de modifications préjudiciables de traitements, et de retard de diagnostic avec des impacts prévisibles sur leur mortalité (4). Durant les presque trois mois d’activité du plan blanc, c’est près de 90000 nouveaux cancers qui auraient dû être diagnostiqués. « Durant ces deux [premiers] mois, le nombre de cancers diagnostiqués a été divisé par deux » , explique le professeur Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer. Clare Turnbull de l’Institut de recherche sur le cancer de Londres estime que « la survie à six mois pourrait être diminuée de 30% par un retard même modeste » de prise en charge chirurgicale pour certains cancers agressifs (vessie, poumon, estomac) (4). En France le cancer atteint chaque année environ 350000 personnes. Les conséquences du confinement sur leur prise en charge risquent de rajouter plusieurs dizaines de milliers de décès par cancer aux 150000 observés en année normale.
Sans compter les malades chroniques (11 millions en France) dont les traitements ont été retardés ou interrompus : accidents vasculaires cérébraux, maladies neurologiques, pulmonaires, endocriniennes, infectieuses, rhumatologiques…
Prétendre que le confinement aurait limité la mortalité ne se base donc pas sur des faits observés, mais uniquement sur la croyance en des prédictions et simulations erronées. Alors que s’instauré le 30 octobre un nouveau confinement, il est grand temps de faire le bilan réel de ce type de décisions politiques.
Nicole Delépine est pédiatre et oncologue, Gérard Delépine est chirurgien, cancérologue et statisticien. Ils sont auteurs du livre Autopsie d’un confinement aveugle, Fauves Éditions, 2020.
Références
(1). Thomas AJ Meunier « Les politiques de verrouillage total dans les pays d’Europe occidentale n’ont pas d’impact évident sur l’épidémie de COVID-19« . MedXriv
(2). E Marijon et al « Out-of-Hospital Cardiac Arrest During the Covid-19 Pandemic in Paris, France: A Population-Based, Observational Study » Lancet Public Health 2020 27 may
(3). « Epidemiology of out-of-hospital cardiac arrest: a French national incidence and mid-term survival rate study », 21 avril 2018. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352556818300687
(4). Victoria Ward, The Telegraph 20 May 2020