Mutilations animales

Faits qui se sont déroulés aux États-Unis dans les années 1970.

Les plus inquiétants remontent au 29 août 1974. Dans le Nebraska, le Daily Tribune titre : « Bétail mutilé, hélicoptères interdits et objets volants non identifiés inquiètent les habitants ». Un quarter horse a été retrouvé mutilé, c’est le cinquième animal attaqué en quelques jours dans des conditions non élucidées. Des riverains évoquent également, au même moment, d’étranges lumières venues du ciel. Un témoin : « Deux garçons étaient dehors […] Ils ont vu une lumière qui venait droit sur eux. Ça leur a mis une sacrée frousse, ils sont immédiatement revenus à la maison. » Un deuxième a également aperçu une lumière à travers les arbres, et un troisième est plus précis : « Je suis sorti pour rentrer les veaux et j’ai vu une grosse boule de feu rouge. Elle s’est soulevée du sol puis est sortie. Comme il faisait nuit, je ne pouvais pas dire à quelle distance elle était. »

Le shérif tente de calmer les esprits. Sûrement des hélicoptères non autorisés, rassure-t-il. Mais les plus folles rumeurs courent déjà sur ces étranges objets volants. À l’heure des réseaux sociaux et de la diffusion en masse des fake news, on imagine sans peine l’écho qu’auraient aujourd’hui de tels propos relayés dans la presse. À l’époque, déjà, un citoyen américain menace dans le journal : « Doors are locked, guns are loaded [les portes sont fermées et les armes chargées]. »

« Étranges actes de sorcellerie »

Cinq jours plus tard, le 4 septembre, le sénateur républicain du Nebraska, Carl Curtis, s’empare de l’histoire et écrit au directeur du FBI, Clarence Kelley. Évoquant une série d’incidents ayant eu lieu dans son État mais aussi dans les contrées voisines, l’élu relate des démembrements de bétail mis en scène dans « une sorte d’étranges actes de sorcellerie ». Après les extraterrestres, les rituels sataniques. En janvier 1975, l’agence du FBI de Minneapolis produit un nouveau rapport, expliquant que, sur sa juridiction, trois États sont touchés : le Minnesota, le Dakota du Sud et le Dakota du Nord.

 

Renards ou opossums coupables ?

Les exactions sont toujours les mêmes : les cadavres des animaux sont profanés. Il peut s’agir des organes sexuels, des oreilles, de la langue… « Dans certains cas, le sang des animaux apparaît avoir été complètement drainé », lit-on. Des vétérinaires sont chargés d’examiner les dépouilles et de ramener un peu de rationalité. Plusieurs concluent que les bestiaux sont décédés de mort naturelle ou ont été tués et dévorés par d’autres prédateurs carnivores. De la vermine, en somme. Quant aux coupures à la précision chirurgicale observées sur certains cadavres, elles pourraient être liées aux dents particulièrement acérées des renards. Des dents de carnassier, destinées à déchirer la viande.

Une note de Richard Hilde, un agent en poste dans le Dakota, vient préciser ce que les scientifiques entendent par « mort naturelle ». Un médecin interrogé par ses soins, le Dr Wilson, estime que les mutilations constatées sont compatibles avec celles que peuvent infliger justement des renards ou des opossums, l’animal rendu célèbre par le dessin animé L’Âge de glace. Selon Wilson, ces bestioles s’attaqueraient en effet souvent en premier lieu au nez, aux lèvres, au pis et aux parties génitales de leurs proies.

Soucoupes volantes

Des fermiers corroborent cette hypothèse, affirmant qu’aucune trace humaine, empreinte ou marque de véhicule n’a été découverte à proximité de leurs animaux morts. Mais les plus complotistes y voient la preuve que les attaques sont l’œuvre de puissances surnaturelles, forçant journalistes et scientifiques à procéder à de rigoureux fact-checkings. Un certain Terry Mitchell assure, par exemple, à qui veut l’entendre qu’une soucoupe volante s’est posée à proximité du bétail, écrasant des arbres et créant un étrange cercle sur le sol. L’enquête montrera que les branches ont en réalité été cassées par le vent ou coupées par ses soins. Les cercles ? Des tas de neige empilés sur des silos.

Morts naturelles ou rituelles

Des analyses effectuées en laboratoire montrent aussi qu’un cheval, que l’on croyait tué par l’homme, était en réalité mort de dysenterie. Quelques demeurés attendraient-ils que des bêtes dépérissent de maladie ou de mort naturelle pour ensuite les charcuter selon un rituel sordide afin de semer la terreur ? Les croyances sont tenaces. Mais force est de constater, comme l’affirme en 1979 lors de la conférence d’Albuquerque la vétérinaire Claire Hibbs, que les faits qu’elle a pu examiner sont de plusieurs sortes : prédateurs, charognards, mutilations liées à des « instruments tranchants », dit-elle.

 

Le rapport, alarmiste, relate des cas de mutilation d’animaux observés dans trois États différents.

 

En avril 1975, c’est au tour du sénateur démocrate du Colorado Floyd Haskell d’affirmer que « les incidents sont trop étendus et potentiellement trop graves pour que l’ordre public les ignore ». L’élu incite le FBI à intervenir pour rassurer la population : « Les propriétaires de ranchs se sont armés pour défendre eux-mêmes leur troupeau et leur famille […] Quelque chose doit vraiment être fait avant que quelqu’un ne soit blessé », lit-on dans sa missive.

Porte repeinte en rouge sang

L’enchaînement des faits est troublant. En 1979, quand le sénateur Schmitt lance sa grande campagne pour faire la lumière sur les affaires, il adresse plusieurs documents au procureur général de l’État qui, le 10 janvier, lui répond : « Je dois dire que les documents qui m’ont été envoyés relatent l’existence d’un des plus étranges phénomènes que j’ai eu à connaître. » Parmi eux, un article du journal Esquire, aujourd’hui disponible en ligne, relate toute l’histoire, y compris celle du cheval Snippy, retrouvé la gorge coupée à la fin des années 1960, et dont la mort n’a jamais pu être entièrement éclaircie, faute de traces dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres. Peut-être le premier meurtre avec préméditation d’une série macabre, postule le journal.

Esquire narre aussi les aventures de Flickinger, un flic du Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (ATF) qui, en 1974, sera chargé d’enquêter sur les malades capables de commettre de tels actes. Des prisonniers ont en effet, depuis leur cellule, rédigé des lettres pour expliquer que les mutilations étaient l’œuvre d’un culte satanique. Quelques allumés procèdent par mimétisme – ce qui est certainement le cas en France, également, dans le cas de l’affaire des chevaux mutilés, selon les enquêteurs. À l’époque, des délateurs expliquent que les satanistes pourraient bientôt s’attaquer aux humains. Flickinger fera chou blanc, ce qui ne l’empêchera pas de voir sa porte d’entrée repeinte en rouge sang…

Interrogé par le journaliste d’Esquire, un fonctionnaire de l’ATF se bidonne. À la question « Comment résoudre l’affaire ? », il répond, avec un humour tout américain : « Il faudrait déguiser deux types en taureau avec des testicules particulièrement volumineux, placer le leurre sur le terrain et attendre. »

La vérité est ailleurs

En 1980, le FBI referme le dossier, après un rapport très controversé de l’agent Kenneth Rommel. Si, selon certaines estimations, près de 10 000 bêtes pourraient avoir été mutilées sur la dernière décennie, le FBI conclut que, dans la majorité des cas, les bêtes sont mortes de cause naturelle (maladie et action combinée des prédateurs). Une explication rationnelle qui n’a cependant pas convaincu de nombreux Américains, lesquels remarquent que les mutilations avaient quasiment cessé à partir du moment où le FBI s’était saisi de l’enquête. The truth is out there.

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