Meurtres de chevaux : rite sacrificiel ou cruauté gratuite ?
Une vingtaine d’équidés mutilés et tués sur tout le territoire depuis le début de l’été. Le portrait-robot d’un agresseur a été établi dans l’Yonne.
Par Nicolas Bastuck

Rite satanique ? Rite sacrificiel ? Fétichisme morbide ? Dérive sectaire inspirée des cavaliers de l’Apocalypse ? Ou, plus prosaïquement, cruauté gratuite encouragée par ce que les réseaux sociaux produisent de plus sordide en termes de « défi » ou de « challenge » ? Le mobile des auteurs des sévices très ritualisés – lacération à l’arme blanche, prélèvement d’organe suivi parfois de mise à mort – commis depuis plusieurs semaines sur des chevaux de toutes races, dans une grande moitié nord de la France, n’en finit pas d’interroger. Il laisse perplexes les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, ce service de police judiciaire qui, depuis Pontoise, coordonne la vingtaine d’enquêtes ouvertes sur tout le territoire, de la région Grand Est à la Normandie, confiées le plus souvent à la gendarmerie nationale, compétente en zone rurale.
Le phénomène n’est pas nouveau, des attaques d’équidés sont recensées depuis 2018 ; il connaît néanmoins depuis le début de l’été une recrudescence que certaines organisations de défense des éleveurs, comme le Conseil du cheval de Bourgogne-Franche-Comté, n’hésitent plus à qualifier de « déchaînement ». Pour la première fois, alors que les auteurs de ces actes odieux ont en commun d’agir avec sang-froid et une précision chirurgicale, une piste sérieuse semble avoir été ouverte. Le portrait-robot de l’un des deux agresseurs du propriétaire d’un ranch de Villefranche-Saint-Phal, dans l’Yonne, a pu être établi, mercredi 26 août, par la gendarmerie. Cet éleveur a été tiré de son sommeil par le hurlement de ses cochons après que deux hommes s’étaient introduits dans sa propriété pour s’en prendre à un cheval et deux poneys, frappés de plusieurs coups de serpette. Blessé par l’un des auteurs après avoir tenté de s’interposer, le pauvre homme a dû être hospitalisé. Ses agresseurs ont pris la fuite, mais les indications fournies par la victime ont permis d’établir, au moins pour l’un d’eux, un portrait très précis.
Chevaux de course, ânes et pouliches
Cette série d’actes morbides a commencé le 6 juin à Dieppe, en Seine-Maritime, où une jument à l’agonie a été retrouvée dans un champ, l’oreille droite tranchée. Deux semaines plus tard, non loin de là, à Grumesnil, un âne était tué dans son enclos, éborgné et mutilé. Sept équidés, au total, ont été martyrisés dans cette région durant l’été, avant que d’autres départements ne soient à leur tour frappés. Chevaux de course, de ferme ou d’équitation, pouliches et juments, ânes et poneys… Des animaux sont morts en Moselle, en Vendée, dans le Puy-de-Dôme, dans l’Aisne et dans la Somme. Ce week-end encore, dans la nuit du 22 au 23 août, des juments ont été prises pour cible dans les Deux-Sèvres, en Eure-et-Loir, en Mayenne et dans le Jura, département où quatre actes similaires, au moins, ont été répertoriés.
Les tortures imposées à ces animaux peuvent varier, mais toutes ont en commun d’être accompagnées de prélèvements d’organes ; l’oreille, en particulier, faisant penser au rite tauromachique. Le sordide a atteint des sommets à Cluny, en Saône-et-Loire, où une pouliche de dix-huit mois capturée au lasso a été poignardée au cœur, avant qu’un de ses yeux ne soit arraché et que son vagin ne soit prélevé. « Il faut vraiment être taré pour faire des trucs pareils », s’est ému au micro de RTL le propriétaire du ranch de l’Espoir, grâce auquel un portrait-robot a pu être esquissé, dans l’Yonne.
La multiplicité des théâtres d’agression semble indiquer que cette série d’attaques relèverait davantage du phénomène de contagion, sans doute encouragé sur les réseaux sociaux – les enquêteurs parlent de « mimétisme » –, que d’un gang organisé. Pour autant, le mode opératoire des auteurs trahit, dans la plupart des affaires répertoriées, une connaissance des animaux, de leur comportement, de leurs réactions face à une situation de danger, mais aussi de leur anatomie. On ne s’introduit pas facilement dans un enclos pour immobiliser et mettre à terre un animal de cette taille (impossible, disent les experts, de mutiler un cheval debout), pour le martyriser et le tuer. Certains auteurs semblent avoir administré un tranquillisant à leur proie avant de les torturer ; d’autres bêtes ont été assommées ou victimes d’un « tord-nez », appareil utilisé en médecine vétérinaire. La « précision » de certaines découpes interpelle également les services d’enquête, qui se sont rapprochés de leurs homologues allemands, belges et britanniques, où des affaires similaires sont traitées.
« Aucune hypothèse n’est privilégiée »
Mis à part le portrait-robot établi en Bourgogne, les indices sont minces. Mercredi 26 août, le procureur de Lons-le-Saunier (Jura) a lancé un « appel à témoins » après une nouvelle série d’agressions, commises ce week-end près de Saint-Claude (deux juments blessées aux parties génitales) et lundi encore à Courlans (un cheval mutilé).
« Aucune hypothèse n’est privilégiée, qu’il s’agisse du mobile ou de l’identité des auteurs », a fait savoir la gendarmerie, qui publie régulièrement, dans la presse et sur Twitter, une série de recommandations à l’intention des éleveurs, auxquels elle enjoint de surveiller leurs bêtes ; de les rentrer la nuit dans la mesure du possible ; d’éviter en tout état de cause de laisser un licol visible quand l’animal est au pré. Les gendarmes encouragent les propriétaires à leur signaler tout comportement suspect, voire à poser de petites caméras de chasse pour démasquer d’éventuels agresseurs. En cas d’attaque, les lieux ne doivent pas être modifiés.
L’émotion suscitée par ces actes de cruauté n’a pas échappé à Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, lequel a publié un tweet dans lequel il assure que ses services sont « mobilisés » face à cette « vague ignoble de mutilation de chevaux ». En s’en prenant à cette espèce, les malfaiteurs ont atteint leur but et symboliquement visé juste, s’ils voulaient susciter l’émoi dans l’opinion. Le « meilleur ami de l’homme » figure dans le tiercé de tête des animaux préférés des Français, avec le chien et le chat. La Fédération française d’équitation estime à un million le nombre d’équidés vivant sur notre sol.
Psychose
Pour conjurer la psychose, les éleveurs tentent de s’organiser. Plusieurs « groupes » ont été créés sur les réseaux sociaux, à l’instar de « Justice pour nos chevaux », qui collecte tous les témoignages susceptibles de mettre les enquêteurs sur une piste. À Lannion, en Bretagne, une page « Surveillance équidés » rassemble plus d’un millier de propriétaires pour organiser des tours de ronde nocturnes. La Ligue des animaux a lancé une pétition pour réclamer la création d’une « cellule de crise » tandis que plusieurs organisations de défense des animaux (Fondation Brigitte Bardot, 30 Millions d’amis, Fédération française d’équitation…) ont manifesté leur intention de se constituer partie civile, chaque fois qu’une information judiciaire sera ouverte.
Les peines encourues peuvent ne pas sembler à la mesure de l’émotion qu’ils suscitent, mais les actes de cruauté et les sévices sur animaux (y compris de nature sexuelle) sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, à l’article 521-1 du Code pénal. En l’espèce, d’autres infractions pourraient être visées, telles que le vol aggravé (cinq ans de prison), voire le trafic d’espèces en bande organisée, qui porte à sept ans la peine encourue