Extrait du blog de Jean-Yves Nau, journaliste et docteur en médecine
03/06/2020. C’est suffisamment rare pour être qualifié d’événement: le « Lancet Gate». Résumons les dernières données : The Lancet a émis, mardi 2 juin, une mise en garde (« expression of concern ») vis-à-vis d’une étude publiée dans ses colonnes le 22 mai. Etude médicale mais éminemment politique, controversée dès sa publication. Se fondant sur 96 000 dossiers médicaux électroniques de patients hospitalisés pour Covid-19 elle suggérait que ceux traités avec de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine, (combinées ou non à des antibiotiques comme l’azithromycine) présentaient un taux de mortalité supérieur et plus de pathologies cardiaques.
« D’importantes questions scientifiques ont été soulevées concernant les données rapportées dans l’article de Mandeep Mehra et al, annonce le Lancet dans un communiqué. Bien qu’un audit indépendant sur la provenance et la validité des données ait été commandé par les auteurs non affiliés à Surgisphere [la société américaine qui les avait collectées] et soit en cours, avec des résultats attendus très prochainement, nous publions une expression d’inquiétude pour alerter les lecteurs sur le fait que de sérieuses questions scientifiques ont été portées à notre attention. Nous mettrons cet avis à jour dès que nous aurons de plus amples informations. »
Cette initiative entame à coup sûr l’aura internationale du Lancet. Mais elle dépasse de beaucoup cette seule dimension du fait des conséquences que cette publication avait déjà entraîné. Elle avait conduit notamment conduit l’OMS, trois jours après sa publication, à suspendre provisoirement l’inclusion de patients traités à l’hydroxychloroquine dans son essai clinique International Solidarity.
Conséquences médicales et politiques en France
En France les conséquences sont importantes, à la fois médicales et politiques. La publication de l’étude du Lancet avait en effet conduit Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé à saisir en urgence pour avis le Haut Conseil de santé publique (HCSP). Celui-ci avait aussitôt émis un avis défavorable à l’utilisation (qu’il avait précédemment accordée) en contexte hospitalier de l’hydroxychloroquine. Son avis se fondait aussi, il est vrai, sur d’autres données de pharmacovigilance faisant état de graves effets indésirables cardiaques. Cet avis avait été suivi d’un décret mettant fin à la dérogation permettant l’utilisation de l’hydroxychloroquine hors autorisation de mise sur le marché dans le cadre du Covid-19.
Ce n’est pas tout : les seize essais cliniques comportant de l’hydroxychloroquine autorisés par l’Agence de sécurité du médicament (ANSM), ont dans le même temps suspendu l’inclusion de nouveaux patients dans les groupes recevant de l’hydroxychloroquine – ceux déjà recrutés poursuivant leur traitement.
Et comment ne pas rappeler que tout ceci a pour toile de fond l’opposition (euphémisme) ouvertement déclaré entre le ministre Olivier Véran et le Pr Didier Raoult qui avait qualifiée de « foireuse » l’étude du Lancet avant de souligner plusieurs incohérences dans les données ainsi publiées. L’ expression of concern du Lancet répond aussi à de très nombreuses critiques suscitées par l’étude conduite par Mandeep Mehra (Harvard Medical School) et ses trois co-auteurs (que Didier Raoult étrille dans sa dernière vidéo marseillaise).
« La revue britannique avait déjà dû publier un erratum reconnaissant une erreur de codage sur des morts du Covid-19 indûment attribués à l’Australie et la publication erronée d’un tableau de données, rappelle Le Monde (Hervé Morin) Mais ce correctif ne répondait qu’à une partie des critiques rassemblées dans une lettre ouverte signée par 120 chercheurs, qui réclamaient notamment de pouvoir accéder aux données brutes afin de les réanalyser et même de vérifier leur réalité, mise en doute par certains observateurs. »
The Lancet rétractera-t-il ou non l’article incriminé ?
En ligne de mire, désormais : la peu banale société Surgisphere, basée dans l’Illinois, aux Etats-Unis, qui affirme avoir collecté plus de 96 000 dossiers médicaux « auprès de 671 hôpitaux sur six continents », et son fondateur, le chirurgien Sapan Desai. « De nombreux épidémiologistes doutent de la capacité d’une si petite structure à entretenir des relations avec un aussi grand nombre d’hôpitaux de par le monde, et à avoir reçu les autorisations nécessaires pour aspirer leurs données – sans obtenir le consentement des malades, ce qui est un motif supplémentaire de préoccupation, observe Le Monde. En réponse à ces critiques, Surgisphere a indiqué avoir sollicité un audit académique indépendant pour réanalyser ses données, qu’elle ne serait pas autorisée à rendre publiques pour des raisons légales. »
Mais il faut aussi compter avec la nouvelle (et à bien des égards problématique) vidéo mise en ligne le 2 juin par Didier Raoult, principal promoteur en France de l’association hydroxychloroquine-azithromycine. Il y qualifie notamment de « Pieds nickelés » 1 les auteurs de l’étude et s’attaque à nouveau au Lancet et aux relecteurs de la publication.
La suite pourrait se résumer à une question : The Lancet rétractera-t-il ou non l’article incriminé avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer ? 2. Et si oui quelles conclusions en tirera, en France, Olivier Véran et le gouvernement ? Sera-ce le triomphe du Pr Didier Raoult qui évoque désormais l’organisation d’un sondage de notoriété demandant aux Français qui est le plus écouté : lui ou le ministre de la Santé ?