Covid-19

Extrait de « Alternative Santé »,  Dimitri Jacques,  08 avril 2020
Vraiment, extrêmement intéressant 

Covid-19 : la piste du microbiote, vers un nouveau paradigme ?

Comme toute guerre permet des avancées scientifiques et techniques fulgurantes, il y a fort à parier que cette pandémie mondiale, ainsi que la mobilisation scientifique qui l’accompagne, nous apprendront beaucoup sur le système immunitaire et, puisqu’il en est désormais indissociable, sur le microbiote.
Les milliards de bactéries que nous hébergeons ont une importance déterminante pour nos défenses immunitaires, nous le savions déjà. Mais la nature des interactions qu’elles ont entre elles, et qu’elles ont aussi avec les virus, ne cesse de surprendre. Les études fraîchement parues sur le coronavirus montrent déjà l’implication de bactéries bien précises, laissant entrevoir des axes thérapeutiques mais aussi de prévention.
Sans surprise, l’écosystème intestinal est impliqué
Comprendre le processus invasif du SARS-COV-2 est un point essentiel, et l’analyse du profil d’expression génétique des récepteurs aux coronavirus va peut-être nous y aider. Nous savons que ces récepteurs (c’est-à-dire les portes d’entrée du virus dans le corps, comme l’ACE2), sont des enzymes en lien avec les cellules intestinales. Les coronavirus modifient constamment leur mode de liaison durant leur évolution, et la cible potentielle dans les poumons varie elle aussi, mais pas dans l’intestin grêle où elle reste constante. Les cellules de la muqueuse intestinale (entérocytes) pourraient donc constituer un réservoir pour les coronavirus . Or ces récepteurs pourraient être plus nombreux en cas d’excès de bactéries non symbiotiques.
Des chercheurs chinois se sont penchés sur les modifications du microbiote chez les patients les plus atteints (ceux qui sont décédés). Le séquençage du microbiote a révélé une diminution significative des bifidobactéries et des lactobacilles , principales familles de bactéries symbiotiques, ainsi qu’une augmentation de bactéries opportunistes telles Corynebacterium ou Ruthenibacterium. La sévérité de l’hypoxémie (manque d’oxygène transporté dans le sang) était fortement corrélée aux taux élevés de cellules immunitaires et de marqueurs de l’inflammation. Le cercle vicieux entre l’hyper-inflammation et la dysbiose intestinale semble constituer un risque élevé de détresse respiratoire fatale. En phase aiguë, l’ADN du virus dans le sang n’était plus détecté que pour 10 % des patients, mais il l’était encore chez 50 % d’entre eux dans les selles. Le virus vivant y a même été identifié plusieurs fois, ce qui suggère que les selles pourraient être un mode de contamination.
Nous savons que le système immunitaire entérique (GALT) donne le ton pour la réponse immunitaire générale chez chacun de nous, de même que le microbiote intestinal et le microbiote pulmonaire sont interconnectés, même à distance. Les lipopolysaccharides (LPS), molécules produites par les bactéries à gram négatif, entraînent l’instauration d’un climat pro-inflammatoire dans l’ensemble de l’organisme. Les individus dont le système immunitaire réagit trop ou trop peu ont la plupart du temps un écosystème intestinal perturbé, avec une distribution anormale des familles microbiennes, une perméabilité excessive de la muqueuse et une tendance à l’inflammation systématique. L’alimentation, le mode de vie et l’environnement sont clairement impliqués.
Les personnes âgées ne sont pas seulement dénutries. Elles ont aussi un microbiote plus déséquilibré, qui tend vers l’inflammation systémique. On comprend dès lors pourquoi cette population paie le plus lourd tribut aux attaques virales. De nombreuses études ont montré que le microbiote des personnes âgées compte davantage de bactéries gram négatif, ce qui a pour conséquence d’augmenter les taux de LPS et par conséquent, de perméabilité intestinale et de risque inflammatoire.
Le séquençage génétique du microbiote de plusieurs malades de Wuhan (ville de Chine où a débuté l’épidémie) a révélé des phénomènes bien étranges, au point que les chercheurs se sont d’abord demandé s’ils n’avaient pas commis d’erreurs. Des bactéries du genre Prevotella semblaient renfermer de l’ADN du virus SARS-COV-2, comme si le virus avait infecté les bactéries. Peu avant, le séquençage du microbiote de six patients d’une même famille à Hong Kong, gravement infectés, montrait des quantités importantes de Prevotella dans leurs selles. Ces observations, reproduites depuis dans d’autres pays, suggèrent que le SARS-COV-2 se comporte donc comme un bactériophage, un virus infectant les bactéries.
C’est ce qui pourrait expliquer les variations importantes de la charge virale d’un test à l’autre chez une même personne, comme si le virus se cachait quelque part. L’hypothèse qui se dessine est que le virus infecte les bactéries, qui deviennent alors virulentes, provoquant notamment l’inflammation parfois fatale. L’étau se resserre lorsqu’on apprend que les infections impliquant Prevotella sont déjà connues pour provoquer des symptômes respiratoires, y compris aigus. 
En France, un enseignant en Sciences s’est lancé dans une tentative de démonstration qui pourrait passer pour farfelue si elle n’était pas aussi documentée. Il soulève le fait que les enfants, très peu concernés par l’épidémie, ont un microbiote pauvre en Prevotella. À l’âge adulte, ce genre bactérien, qui fait partie de la flore commensale, devient beaucoup plus représenté. Davantage chez la femme que chez l’homme d’ailleurs, alors que les statistiques montrent que les femmes sont moins touchées par le Covid-19. Leur système immunitaire serait, dans cette hypothèse, plus habitué à tenir Prevotella en respect. Le séquençage du microbiote sur de plus larges échantillons de la population nous permettra de découvrir s’il a raison. Cela montre, au passage, l’intérêt de la science participative qui permet à des non-chercheurs, parfois de simples citoyens passionnés, de soulever des questions judicieuses. S’il s’avère que le Covid-19 est bien une infection mixte – à la fois virale et bactérienne – alors l’intérêt d’associer l’hydroxychloroquine et l’antibiotique azithromycine, consacré par le Pr Didier Raoult , prend tout son sens. En particulier, l’azithromycine est active sur Prevotella et sur les microbes intracellulaires.
Les probiotiques pourraient s’avérer utiles
Dans la gestion du Covid-19, l’Université de médecine de Zhejiang a mis en place, avec de bons résultats, une stratégie dite des « quatre anti et deux équilibres» : antiviral, antichoc, anti-hypoxémie, anti-infectieux, maintien de l’équilibre électrolytique et de l’équilibre microbiotique. Un traitement multidisciplinaire et individualisé a été appliqué à chacun pour augmenter l’effet thérapeutique. L’anxiété et la peur, très présentes chez les personnes atteintes du Covid-19, étaient accompagnées en médecine traditionnelle chinoise.
Plusieurs patients ont montré une dysbiose intestinale avec une diminution notable des bifidobactéries et des lactobacilles. Un soutien micronutritionnel de l’intestin a été proposé à tous, avec administration de probiotiques et de prébiotiques, pour rétablir l’équilibre et prévenir le risque d’infection secondaire.  L’antibiothérapie était, quant à elle, réservée aux personnes avec un long parcours de maladie et des fièvres répétées.
La souche Lactobacillus plantarum, en agissant sur le mucus intestinal, a permis d’empêcher l’infection des cellules épithéliales par les coronavirus dans une étude sur modèle animal. (8) Dans des maladies inflammatoires chroniques, l’ingestion d’un complexe probiotique à haute concentration permet en outre de réduire les taux plasmatiques de cytokines pro-inflammatoires et d’augmenter les taux de cytokines régulatrices de l’inflammation, avec des modifications du microbiote fécal par rapport au groupe contrôle.  Un autre complexe, utilisant Lactobacillus brevis comme souche dominante, donne des résultats similaires mais en agissant sur l’axe intestin-cerveau, par voies immunitaire, métabolique et nerveuse.  Un détail, et non des moindres, est que Lactobacillus brevis est capable d’empêcher Prevotella de former des biofilms.  Or ces biofilms sont un des moyens utilisés par les bactéries pour se mettre à l’abri du système immunitaire et des antibiotiques.
Enfin, les personnes obèses, plus touchées par le Covid-19, ont un microbiote qui est également plus riche en Prevotella. Si l’administration de probiotiques à cette population donne de bons résultats en termes d’amélioration des marqueurs de l’obésité (masse graisseuse, glycémie, insuline, etc.), ces résultats sont encore plus visibles pour les individus chez qui la bactérie était très présente.
Le comportement des populations microbiennes colonisant le corps humain continue d’être scruté, notamment afin d’identifier et de comprendre les différences entre les catégories de personnes à risque et celles qui demeurent en bonne santé. Si la recherche de traitement contre le Covid-19 bat son plein, une meilleure connaissance des interactions entre hôte, bactéries et virus pourrait orienter les efforts de manière décisive. Dans ce domaine, nous sommes en pleine époque pionnière. Les probiotiques de nouvelle génération constituent des possibilités intéressantes de prophylaxie et de traitements adjuvants.

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