Gaspard Proust

Cet homme est vraiment très intéressant.
Morceaux choisis extraits de son interview au Point:

« Les gens passent leur temps à revendiquer leur singularité, mais ne supportent pas de ne pas voir cette singularité « likée » par les autres. Quand on a confiance en soi, on se fout de l’approbation des autres. Et, paradoxalement, plus les gens sont obsédés par l’idée d’être aimés, plus ils sont violents. Cerise sur le gâteau, la société, plutôt que de contrebalancer cette tendance en apprenant aux gens à être responsables et autonomes, les encourage à d’abord se poser en victimes et les infantilise ; tout ce qu’il ne fallait pas faire, bravo… »
« « Plus on se définit, moins on se donne la possibilité de se connaître. » Ce n’est pas de moi, c’est de Lao-tseu. Et beaucoup de gens devraient la méditer avant de ruer dans les brancards à la moindre écorchure faite à leur petit ego. Se définir, c’est se graver dans le marbre, et cela ne marche bien que si on est fait de pierre. Ce n’est pas mon cas.
Cela ne m’empêche pas de regarder, assez consterné, ce qui se passe dans le monde. On habite une société qui parle de « bienveillance » du matin au soir et qui est incapable de l’appliquer à ce qui ne lui ressemble pas ; alors que c’est précisément son principe. Si on n’est bienveillant qu’avec ce qui nous est proche, alors, on n’est bienveillant avec rien ni personne.
Du matin au soir, on parle de la présomption d’innocence, du matin au soir, on la piétine et on s’engouffre en troupeau hystérique derrière la première accusation sans preuve en postillonnant, sur les dépotoirs à verbe que sont réseaux sociaux et médias, des « On ressent comme un malaise », « On se désolidarise », « On s’émeut », « On suppute », « On se trouble ». C’est à se demander parfois à quoi sert le système judiciaire dans votre pays. Si vous voulez réformer la justice pour pas cher, vous n’avez qu’à la supprimer et la délocaliser sur Twitter. Ça marche déjà très fort, ça ne coûte pas un rond, les condamnations sont instantanées ; que du bonheur ! Certes, dans la foulée, on va détruire quelques innocents, mais bon, comme au-dessus des Français flottent de grands principes républicains… Comme dirait l’autre, « tuez-les tous, le principe reconnaîtra les siens ».
La facilité qu’a cette époque de détruire des gens sans preuve, en se fichant complètement du temps judiciaire, est proprement sidérante.
Certains sont désormais incapables de sortir d’eux-mêmes et d’avoir un peu de recul ou d’humour sur eux. Non, tout n’est pas malveillant, tout n’est pas arrière-pensée. La légèreté, la provoc pour la provoc, ça existe. Et puis, quel message politique j’aurais, moi, étranger, à apporter à votre pays ? Je vous regarde faire, mais, au risque de vous décevoir, je me fiche complètement des choix politiques des Français. Ils vous regardent. Je ne supporte pas cette société où il faut sans cesse se justifier. Le droit d’être débile fait partie de la liberté. Mais j’ai également le droit de m’appuyer sur ceux qui veulent être intelligents, qui comprennent qu’on est au théâtre, que c’est un code, qu’ils ont en face d’eux un monstre et que je peux dire et imaginer les pires choses sans jamais les faire ni même les penser.
« Quand on voit l’état du monde, ce n’est pas très difficile de détester ses semblables. Mais ce n’est pas mon cas. Les gens bien existent, j’en ai rencontré. Et, souvent, ils vous réconcilient avec les autres. Mais, je dois être honnête, je côtoie peu les gens, étant sans doute un peu asocial. J’ai mis du temps à l’accepter, mais enfin c’est comme ça. Si je suis seul sur scène depuis dix ans et que c’est le mode qui me convient le mieux, c’est qu’il y a bien une raison. Contrairement à d’autres, cela ne me dérange pas du tout de me retrouver seul dans ma chambre après la représentation, puis de prendre ma voiture le lendemain pour me rendre dans une autre ville. La foule, le bruit, les trucs de troupe, les mondanités obligées sur les plateaux divers et variés, très peu pour moi. »
« Quand j’étais gamin, nous pensions que ce seraient les robots qui supplanteraient les êtres humains. Nous ne pensions pas que l’humain deviendrait un robot. C’est ce qui est en train d’arriver. Le politiquement correct, c’est ça : on essaie de « recâbler » les gens en robots pour qu’ils ne puissent plus aller dans des endroits interdits. Tout est en train d’être standardisé. Une phrase est dite, et les gens vont faire leur cascade classique de raisonnement. Les Gafam sont plus que des entreprises, ce sont aussi des entités idéologiques. L’impuissance politique face à ces monstres est pétrifiante. »
« Nous vivons sous la doctrine du principe de précaution. Mais on se garde bien de l’appliquer au divin. Certes, on n’arrive pas à prouver que Dieu existe. Mais on n’arrive pas non plus à prouver que Dieu n’existe pas. Cependant, par précaution, on l’a trucidé. Pourquoi, par précaution, ne garderait-on pas la porte ouverte ? C’est le pari de Pascal. Quand je suis à Chamonix, quand je regarde autour de moi, je trouve cela très prétentieux qu’un être humain qui voit le monde avec ses pauvres trois dimensions puisse décréter qu’un être qui, par essence, est au-delà de l’entendement humain, qui serait constitué d’une infinité de dimensions, ne pourrait exister. Du reste, si on croit que le mal existe – et il existe -, alors, on ne peut pas ne pas croire au bien. Mais tout ça, c’est un truc intime, et j’en ai déjà trop dit. »
« Faites-vous une différence entre une salle parisienne et une salle de province ?
Le spectateur parisien est peut-être un peu plus peureux. Il pense qu’il y a toujours une intention derrière un spectacle, un message politique. Il va décortiquer plus, s’abandonner moins facilement. Il voit la vie, le monde, comme un exercice intellectuel ; pourquoi pas, c’est son droit, ça le regarde.
Vous mettez le spectateur face à ses contradictions. Vous attaquez, par exemple, les Parisiens qui veulent être écolos à Paris alors que la meilleure façon d’être écolo, c’est de quitter Paris…
Je vis en province. Je fais des tournées depuis dix ans. Ces dernières années, tout en voiture. Je connais vraiment très bien votre pays. Et franchement, comment peut-on avoir envie de s’enfermer à Paris avec un pays pareil ?
J’ai bien davantage de respect pour les soixante-huitards qui ont eu les couilles d’aller dans le Larzac pour élever des chèvres. Ils ont eu du bon sens et ont surtout appliqué leur idéologie plutôt que faire des fraises en rooftop. Ce localisme de pacotille me fait doucement rigoler. Je trouve ça grotesque. Et on va nous expliquer que c’est écolo ! Quel rapport véritable à la nature peut-on avoir en vivant à Paris ? Est-ce que ces gens ont regardé une fois avec un œil neutre où ils habitaient ?
Les écolos-urbains, c’est un oxymore. Ils ne comprennent rien à la nature. Ils pensent que faire de l’écologie, c’est arroser trois carottes qui poussent sous un arbre greffé sur un trottoir de la place Monge dans un atelier « écolo-participatif jardinatoire de vivre-ensemble urbain à composter ». Ils ne savent pas ce que c’est d’aller chercher du bois en forêt, de le couper, d’allumer un feu de cheminée. Ils vivent en apesanteur. Si ce n’était que ça, ça m’irait encore, mais, en plus, ils donnent des leçons de morale aux autres. Je veux bien qu’on m’apprenne la vie quand on la connaît. Faire des pistes cyclables au milieu des voitures : quel intérêt ? Il n’y a que d’un esprit malade que peuvent sortir de telles idées. Et le pire ? On en est fier. Ils font tous la course pour être le plus écolo. Dans quel but ? Transformer Paris en Creuse… Mais, allez-y dans la Creuse ! Allez au bout de votre raisonnement, repeuplez les campagnes ! Il y a l’embarras du choix.
Et, miracle, en vous barrant de Paris vous arriverez enfin à faire un truc sur lequel tout le monde se casse les dents ; faire baisser le prix du mètre carré de cette ville qui, vu la non-qualité de vie qu’elle propose, ne devrait pas dépasser, selon moi, les 1 000 euros. Enfin, je dis ça… Vous, vous pensez que ça m’obsède alors qu’en réalité, n’étant ni français ni parisien, je me fiche complètement de savoir qui, de Hidalgo, Griveaux, Villani ou Dati, atterrira sur le fauteuil du maire de Paris. »
« On va dire : « La France, c’est la laïcité ! » Mais l’organisation d’un culte, ce n’est pas une valeur, ça ne fait rêver personne ! De la même manière, je vois du matin au soir les hommes politiques sautiller sur leurs chaises en éructant : « La République ! La République ! La République ! » Mais, des républiques, il y en a plein dans le monde. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le mode d’organisation de votre démocratie, mais ce qui fait que la France est la France et non pas la Slovénie, l’Allemagne, l’Algérie ou la Corée du Sud !
La réalité, c’est que la France – même si certains le vivent très mal – est devenue un pays multiculturaliste, alors, quel intérêt du coup de devenir français, si, de toute façon, on me fait l’éloge de pouvoir tout le temps la ramener avec mes origines ? J’ai même changé mon prénom et mon nom, car je ne voulais pas qu’on me renvoie d’où je viens. Je veux me fondre parmi les Français. Or, ce n’est plus audible aujourd’hui. »

Une réflexion sur « Gaspard Proust »

  1. Vraiment excellent !!
    S’il passe dans votre région je vous le conseille 😉😊
    Attention il maîtrise le 1, 2 et 3 degré à la perfection et peut vous prendre pour cible dans la salle donc âme ne supportant l’auto dérision (ou la vérité bien en face) s’abstenir
    Merci pour l’extrait 👍🏻👍🏻👍🏻

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