Pour ceux qui ont suivi (sans doute désemparés comme je l’ai été) le récent « débat » Sifaoui/Zemour, pour ceux (comme moi) qui s’indignent du comportement de la Sorbonne et de l’annulation du projet de formation demandé à M. Sifaoui qui lui a coûté deux ans de travail, pour les « nuls » (comme moi) attirés par ce qu’ils connaissaient de la philosophie soufiste, l’analyse de Nader Allouche dans Marianne (que je rapporte ci-dessous) me parait très enrichissante.
Ensuite, suit le « débat » pour qui ne l’a pas encore vu. (seul le lien apparait dans la notification par mail)
Moralité, il faut sans doute se garder des exposés aux idées simplistes à destination « grand public » 🙂
« Le Soufisme n’est pas la solution à l’extrémisme musulman
Mohammed Sifaoui a raison de rappeler à Eric Zemmour que les Frères musulmans et le salafisme sont des mouvements schismatiques du reste de l’islam. Mais de parler de cet autre islam, autrefois majoritaire et même exclusif, comme de courants pacifiques et modernes m’a beaucoup étonné.
Nombre de maîtres soufis canoniques ont fait l’apologie du djihad expansif ou de la persécution des juifs et des chrétiens
Quand Sifaoui a cité le soufisme comme exemple de l’existence de courants modérés dans l’islam, il a montré que d’érudition sur la religion mahométane, il n’a que le strict minimum. Le soufisme n’est pas un mouvement pacifiste ; il n’est même pas un mouvement du tout. Le soufisme est la gnose de l’islam sunnite, dont il pratique le rite, et à la Charia duquel ses maîtres et ses fidèles obéissent scrupuleusement. Nombre de maîtres soufis canoniques ont fait l’apologie du djihad expansif ou de la persécution des juifs et des chrétiens. Sur la violence chez les soufis, nous pouvons citer les travaux excellents de Razika Adnani.
Pour mieux comprendre ce qu’a dit Sifaoui
Je suis sidéré par ailleurs que, sur une antenne grand public, Mr Sifaoui ait pu parler en des termes très élogieux du « malikisme ». Le malikisme est une école juridique et un rite musulmans.
Pour faire simple, l’islam sunnite connait deux écoles théologiques, quatre juridictions ou écoles juridiques (qu’on appelle en vulgarisation des charias : il y a donc quatre charias de référence), qui sont aussi des rites (puisque, entre autres, elles codifient le rituel religieux), et plusieurs dizaines de « voie » soufies (pour la mystique). L’islam sunnite se décompose donc en trois disciplines: la théologie, le droit et le rite, et la mystique.
Un musulman sunnite doit se choisir une école théologique parmi les deux proposées, il doit s’affilier à une juridiction parmi les quatre reconnues, il doit respecter le rite découlant de sa juridiction et il peut, s’il veut, se choisir une « voie » soufie pour pratiquer la spiritualité. Voilà exactement ce que veut dire canoniquement être un musulman sunnite.
Le malikisme, le problème maghrébin de l’islam français
Ce qui intéresse le public français, c’est la charia. Alors, restons-y. Il se trouve que le musulman choisit rarement librement sa charia et son rite. Dans le Droit musulman, les fidèles sont sous le Commandement du « Prince » (au Maroc, on dit Commandeur) et donc de la charia qu’il s’est choisie, et ils doivent, ainsi, également suivre le rite du Prince. En Afrique du Nord, la charia et le rite de référence sont le malikisme. Monsieur Sifaoui est malikite de naissance.
La charia malikite est la plus violente et la plus archaïque des quatre charias de référence. Quand Monsieur Sifaoui déclare qu’il y a de bons courants dans l’islam et qu’il cite le malikisme, il y a de quoi s’étonner. Nos compatriotes français de confession juive, originaires d’Afrique du Nord, dont l’Histoire devrait beaucoup plus nous intéresser et a beaucoup à nous apprendre sur l’islam, le savent bien. Leurs aïeux qui ont vécu sous le joug du sultan marocain ou des beys de Tunis et d’Alger, ont toujours en mémoire la grande violence sociale et judiciaire de l’islam malékite à leur encontre, et c’est d’ailleurs pourquoi, en Algérie, ils n’ont pas hésité une seconde à choisir la France, alors qu’ils vivaient dans ce pays depuis l’Antiquité.
M. Sifaoui est passé à côté du sujet et n’a pas joué son rôle
Même si les efforts en publicité du Maroc, pour le faire oublier, ont bien réussi, certains, comme Eric Zemmour, ont la mémoire tenace, et font obstacle à toutes les mythologies hallucinantes développées autour de l’islam maghrébin, comme la convivienza en Andalousie ou la soi-disant protection de Muhammad V à ses sujets juifs, dhimmis, pendant la deuxième guerre mondiale. Cependant, chez Eric Zemmour, il ne s’agit pas seulement de lucidité et d’humanisme, mais, je le déplore vivement, de nationalisme français, fallacieux et fascisant. On le constate sans appel, quand il reproche à Mohammed Sifaoui son apologie de la République et de la démocratie plutôt que de la France. Est-ce à dire pour Monsieur Zemmour que nous devrions aimer la France de l’inquisition et de la monarchie absolue et nous en revendiquer?
En Égypte, au Liban, en Turquie : l’islam des Lumières
Si l’islam maghrébin traditionnel est archaïque et inconciliable avec la République, a contrario, les islams d’Istanbul, du Caire, de Bagdad et de Damas offrent des fenêtres pour que s’y engouffre la modernité. Le hanafisme et le chaféïsme (les deux charias de référence dans ces cités) ont d’ailleurs permis des jours plus heureux aux chrétiens et aux juifs que ces derniers n’en ont eu en Afrique du Nord. Ne dit-on pas à ce propos : « heureux comme un juif en Irak » ?
À mon humble avis, M. Sifaoui est passé à côté du sujet et n’a pas joué son rôle, qui, dans cette émission, face à Eric Zemmour, devait être celui d’un érudit et d’un éclaireur sur l’islam.
Le problème fondamental en France est que les musulmans, pour une bonne partie originaires d’Afrique du Nord, obéissent à la charia malikite, qui est la plus dure et la plus violente des quatre charias de référence. Les français musulmans originaires de Turquie, du Liban, d’Égypte, d’Irak… n’ont pas ce problème. Ils relèvent des charias hanafite et chaféïte, plus douces et plus souples.
Le problème n’est pas seulement les Frères musulmans et le salafisme
En filigrane, se pose la question de l’immigration : si les Maghrébins ont la charia et le rite les plus contrariants de tout le monde musulman, n’est-il pas préférable d’accueillir des réfugiés syriens plutôt que des immigrés marocains ou algériens ? Au lieu de coopérer avec le Roi du Maroc et Alger sur l’organisation de l’islam en France et sur la formation des imams, ne serait-il pas mieux de frapper à la porte du Grand Mufti de Beyrouth ou d’Égypte ?
Ce que Zemmour et Sifaoui auraient dû dire et qu’a priori, ils ne savent pas, c’est que le problème n’est pas seulement les Frères musulmans et le salafisme. Le problème est d’abord et surtout l’islam malikite du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, contre lequel la société française et en premier lieu les musulmans de notre pays doivent s’élever. »
https://youtu.be/6oACn6ei9mg