Antoine de Saint-Exupéry

Saint-Exupéry écrivait ça dans les années 40
A méditer….Sans doute plus que les mots du « Petit Prince » 

« En Octobre 1940, de retour d’Afrique du Nord ou le groupe 2/33 avait émigré, ma voiture étant remisée exangue dans quelque garage poussiéreux, j’ai découvert la carriole et le cheval. Par elle, l’herbe des chemins, les moutons et les oliviers. Ces oliviers avaient un autre rôle que de battre la mesure derrière les vitres à 130 kilomètres à l’heure. Ils se montraient dans leur rythme vrai qui est de, lentement, faire des olives. Les moutons n’avaient pas pour fin exclusive de faire tomber la moyenne. Ils redevenaient vivants. Ils faisaient de vraies crottes et fabriquaient de la vraie laine. Et l’herbe aussi avait un sens puisqu’ils la broutaient. Et je me suis senti revivre dans ce seul coin du monde où la poussière soit parfumée (je suis injuste, elle l’est en Grèce aussi comme en Provence).
Et il m’a semblé que, durant toute ma vie, j’avais été un imbécile… »

« Je hais mon époque de toutes mes forces. L’homme y meurt de soif.
Ah!… général, il n’y a qu’un problème, un seul de part le monde: rendre aux hommes une signification spirituelle. Faire pleuvoir sur eux quelque chose qui ressemble à un chant grégorien.
Si j’avais la foi, il est bien certain que, passé cette époque de « job nécessaire et ingrat », je ne supporterais plus que Solesmes. On ne peut plus vivre de frigidaires, de politique, de bilans et de mots croisés, voyez-vous, on ne peut plus.
On ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour. Rien qu’à entendre un chant villageois du XVème siècle, on mesure la pente descendue. Il ne reste rien que la voix du robot de la propagande (Pardonnez-moi!). Deux milliards d’hommes n’entendent plus que le robot, ne comprennent plus que le robot, se font robots. Tous les craquements des trente dernières années n’ont que deux sources: les impasses du système économique du XIXème siècle, le désespoir spirituel…
Les hommes ont fait l’essai des valeurs cartésiennes; Hors des sciences de la nature, ça ne leur a guère réussi ! Il n’y a qu’un problème, un seul: redécouvrir qu’il est une vie de l’esprit, plus haute encore que la vie de l’intelligence, la seule qui satisfasse l’homme… Et la vie de l’esprit commence là où un être « un » est conçu au dessus des matériaux qui la composent. L’amour de la maison, – cet amour inconnaissable aux Etats-Unis – est déjà la vie de l’esprit.
Et la fête villageoise, et le culte des morts (je cite ça, car il s’est tué, depuis mon arrivée ici, deux ou trois parachutistes; mais on les a escamotés, ils avaient fini de servir). Cela, c’est de l’époque, non de l’Amérique: l’homme n’a plus de sens.
Il faut absolument parler aux hommes. A quoi servira de gagner la guerre si nous en avons pour 100 ans d’épilepsie révolutionnaire ? Ah!… quel étrange soir, ce soir, quel étrange climat ! Je vois de ma chambre s’allumer les fenêtres de ces bâtisses sans visage. J’entends les postes de radio divers débiter leur musique de mirliton à cette foule »

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